Les nuages blancs voguaient lentement au dessus de ses yeux fraîchement ouverts. Il les fixa plusieurs minutes, sans réaction, admirant ces petites taches former sur le ciel bleu moult dessins. L’homme finit par se redresser, lentement, ses muscles endoloris ne lui permettant pas de mouvements brusques. Il scruta l’horizon, les yeux perdus dans le néant, cherchant désespérément ce qui l’avait amené ici. Rien autour de lui, si ce n’est cette infinie plaine, et rien dans sa tête, lui permettant d’expliquer sa présence ici. Une longue épée incrustée de deux petits rubis longeait sa cuisse droite. Il s’en saisit et admira le degré de finition de cette œuvre d’art. L’homme s’étonna lui-même de pouvoir la soulever avec tant d’aisance. Il se leva et fit quelques moulinets dans l’air, comme pour s’assurer de cette inexplicable force. Puis un détail attira son attention, une petite inscription, au bas de la lame, juste au dessus du pommeau de l’épée. Il s’approcha et gratta la terre qui couvrait une partie des caractères.
« Thraun »
Cela ne lui disait rien. Qu’était-ce donc, un Thraun ?
Puis son visage se refléta dans le métal de la lame. Une vision d’horreur qui le fit basculer à terre. Qu’était-ce là ce visage ? Etait-il encore trop peu réveillé ? Avait-il une hallucination ? Il avait un corps totalement normal, bien que doté d’une musculature très avantageuse. Mais son visage… Par tous les dieux et leurs putains ! Ce visage… Une tête d’ours. Oui, un visage poilu, d’un brun roussi, sauvage, se dressait sur ses épaules. Cette partie animale semblait se prolonger jusqu’à son buste, où la pilosité redevenait « humaine ». Il n’en croyait pas ses yeux, était-ce bien lui ? Mais après tout, qui était-il ? Il avait beau retourner son esprit dans tous les sens, il ne se souvenait plus de rien.
Sa réflexion fut interrompue par un claquement de branche, derrière lui. Des pas se précipitaient vers lui à une vitesse folle et un mince enfant ne tarda pas à s’extirper des feuillus pour se réfugier à ses pieds. A ses talons, trois barbares à bout de souffle. La vue du petit enfant leur redonna la motivation nécessaire à ces quelques pas et ils fondirent sur leur proie, semblant totalement ignorer le demi ours. Ce dernier, voyant que les barbares ne comptaient pas l’épargner, dégaina l’épée. Tout se passa très vite, l’«homme» lui-même ne comprit pas exactement comment mais sa vie fut sauvée par des réflexes de guerrier aguerri. Une parade, un contre et le premier barbare s’effondra, inerte. Une agile esquive, une pointe dans le cœur, et c’est le deuxième qui s’empilait sur son compère. Le dernier, voyant le massacre qui se déroulait sous ses yeux, prit ses jambes à son cou et dévala la plaine jusqu’à tomber de fatigue, à plusieurs lieues d’ici.
Le demi ours contempla ses mains, comme apeuré par cette force. Le jeune garçon brisa le lourd silence de sa petite voix fluette.
« Merci beaucoup monsieur l’ours.
-…
-Laissez-moi chanter vos louanges à travers tout Thessalie monsieur l’Ours, quel est votre nom ? »
L’homme le regardait, incrédule.
« Mon nom est Thraun. »
L’enfant plongea son regard dans le sien, un regard pétillant de tendresse, d’admiration. Thraun, lui, ne comprenait pas. Tout se passait si vite… Thraun… Ce serait donc son nom.