[Isil] Ténébreuse

Ténébreuse


La solitude me tenait dans sa cage. Elle me tenait prisonnier sous la nuit. Sous cette froide nuit et parsemée de mille étoiles scintillantes, je me tenais sur le rempart ouest de mon domaine, regardant avec ennui cette étendue sauvage. La rivière chantonnait sa mélodie habituelle. Les animaux nocturnes chassaient leurs proies en toute quiétude. Et moi ? Je restais là. La soirée venait de commencer. L’astre de la nuit dévoilait ses lumières, montrant le chemin aux voyageurs du soir. Elle me montrait le chemin.

Je décidais donc de faire une promenade dans le bourg environnant. Les pavées étaient sans vie. Les villageois dormaient. Des torches étaient allumées dans les quelques chaumines de ceux qui n’arrivaient pas à fermer l’œil. Tout allait bien. L’air sentait l’arôme des chandelles parfumées. Je regardais vers le haut. Trois étoiles filantes traversèrent le ciel. Des fils d’argents sur une étendue noire. Notre peuple avait pour habitude de faire un souhait à la vue de ces étoiles. Un souhait…

Si je vous le disais, ce ne serait plus un souhait.

Bien des lunes passèrent depuis ce moment au bourg. Lorsque je faisais l’une de mes promenades habituelle, des bruits de d’épées s’entrechoquant et d’une foule qui criaient à tu tête attirèrent mon attention. Tous crièrent un nom. Gaël, Gaël, Gaël. De plus en plus fort, de plus en plus à l’unisson, ils citèrent ce nom. Est-ce un homme ? Lorsque je m’approchais, et que les gens me laissèrent le champ libre, je vis qu’un homme était étendu sur la terre, son épée et son écu de fer en éclat non loin de lui, et qu’une grande femme le tenait prisonnier de sa lame à deux mains. Une petite arène amicale, improvisé pour le plaisir de se dégourdir les jambes sous le soleil.

L’homme se releva et ramassa son reste, laissant place à un géant. Il était grand, à la musculature d’un bœuf. Une massue à pointe d’or lui servait de prolongement de ses bras massifs. Il avançait tranquillement, son arme à la main et levé haut. Que pouvait-on dire de cette femme ? Ses cheveux, noir comme la nuit, dépassaient de peu le devant de ses épaules. Son visage me rappelle les plaines de Krigala, mais l’opposé. Non qu’elle soit laide, au contraire, son visage bronzé rappelle les ombres, ne gâchant en rien sa beauté. Ses yeux, d’un rouge infernal, nous plongeaient dans l’abysse de son être. Son regard, docile et perçant, mettait mal alaise quiconque la regardait dans ses yeux. Ses lèvres nous plongeaient dans l’inaccessible, dans le sentiment que nous ne pourrons jamais les atteindre. Bien que je sois un lion, je m’y noierais volontiers. Sur le bord de ses yeux, trois triangles brillants y étaient sertis. Gaël portait une armure, en cuir noir, très léger, nanti d’une cotte de mailles d’un argent éclatant, finissant au milieu du ventre. Elle portait une cuissière sur sa droite et cachait le reste d’un pagne noir. Elle était pied nue sur le sable chaud de l’arène.

La danse commença. Gaël restait immobile et son opposant en profita pour attaquer. Il courrait et balançait sa masse dans tous les sens. Elle le voyait venir, attendant le bon moment. Le géant tira son arme au-dessus de sa tête et assena un coup latéral. Elle l’esquiva non sans mal d’une valse, faisant gronder le sol à l’impact de la masse. De sa lame, elle lui donna un coup de taille et lui coupa le cuir qu’il possédait. Il tituba, ébahi de sa rapidité à manier une arme aussi grandiose. Elle dansait. Sa lame virevoltait, tourbillonnant avec sa maîtresse, ne laissant aucune chance à l’homme de placer une riposte. La magie semblait la guider. La frénésie l’emporta, portant des coups d’une violence accrue. Chacune de ses attaques déplaçait le vent. Un bruit sourd et terrifiant retentissait dans le cercle. Sa lame ne devint que le vent lui-même. Elle dansait toujours, sans le moindre signe de fatigue. Un autre son fit sursauter l’assemblé. La masse du géant vola en éclats, du manche à la tête. Il fut projeté sur le sol de l’arène, inconscient, les doigts cassés.

S’en fut terminé pour la journée. Je restais là, voulant savoir qui elle était, d’où elle venait. Après que la foule eut quitté les gradins, Gaël se trouvait toujours dans l’arène et me regardait fixement, cherchant mon regard. Je le lui offrais, me laissant obnubiler par ses yeux aux pupilles rouges.



Il était inutile de vouloir se dérober. Elle s’approchait, sereine, et s'immobilisa devant moi, là où la chaleur de mes flammes était supportable.

-Que me voulez-vous, Ô Seigneur de ces terres ?

Elle parlait d’une voix calme et posée, avec un léger accent et une pointe d’arrogance du peuple du Sud.

-Dois-je répéter ? Je ne suis pas d’humeur à patienter. Surtout devant un lion muet.

Je cherchais mes mots. Cette diablesse ne manquait pas de charme. Voyant qu’elle partait, je décidais donc de placer quelques mots.

-D’où venez-vous, Gaël ?

Elle se retourna vers moi.

-D’un peu partout. Pourquoi cette question ?

-Pour savoir, évidemment. Vous m’intéressez. Ah ! Je vois par l’expression de votre jolie minois, que vous n’avez pas bien compris.

-Et que voulez-vous que je comprenne ? Je ne suis pas une de ces putes qui couches avec des seigneurs ! Trop longtemps, on m’a utilisée. Plus maintenant. C’est fini. Vous comprenez ?

Gaël partit en rafale. Sa fureur fit monter le vent autour d’elle, levant ses cheveux et son pagne. Elle courrait maintenant. Je la suivais, voulant m’expliquer et lui demander pardon de ce que j’ai pu lui faire se souvenir. Elle courrait vite, mais je pus l’arrêter.

-Attendez-moi ! Par pitié. Détrompé vous. Je n’ai pas voulu vous blesser, loin était mon intention. Votre passé semble lourd et remplit de tristesse, et je m’en excuse. Ce que je voulais dire plus tôt, c’était, si vous le vouliez bien, de venir prendre résidence à mon château. Vous serez nourrie, habillée et logée. Vous ne voyagerez plus pour trouver votre place. Mais tout cela, à deux conditions.

-Lesquelles ?

Elle venait de pleurer. On le voyait sur ses joues. Je continuais, pesant mes mots.

- Vous m’avez impressionné, par votre prestigieuse prestation. Je vous demande de devenir le chef de mes armées. Pour le moment, ils sont sans chef et sont très désorganisés. Et ensuite, le plus important selon moi, c’est que vous deveniez mon ami. Je vois en vous le souhait que j’ai fait.

Je voyais qu’elle hésitait. Un lion qui lui demande d’être son ami, il y a de quoi se poser des questions.

-Que dites-vous ? Prête à changer de vie ?

-C’est sans risque ?

-Que voulez-vous dire ?

-Être l’un de vos amis.

-Je ne sais pas. Vous serez la première à savoir.

-J’accepte. Mais il y a quelque chose que j’aimerais. J’ai entendu dire que vos cuirs et vos métaux sont les meilleurs de la région.

-C’est exact.

-Ma lame commence à s’user et mon armure également.

-Je vais tout arranger.

Nous prîmes la route du château. Le soleil commençait sa descente, pour laisser à la lune sa chance de briller.

Souvenir du passé


C’était l’un de ces matins où la vie nous écœurait, où tout nous apparaissait morne et sans couleur. La pluie s’abattait, faisant rage sur les remparts. Et c’était en ces moments que je me rappelais d’un passé. Passé pourtant pas si lointain…

Un peu plus tard dans la matinée, Gaël arrivait avec mon plat préféré. Tout simplement une côte de bœuf, bien saignante. On parlait du mauvais temps, des gens, du Monde… La Vie. Je la hais, elle l’aime. Pourtant si ténébreuse, elle aimait la vie, et moi, je la détestais. Elle m’a rendu faible. Le temps ne s’éternise pas, il continue, vole la vie. Elle ne nous donne pas la chance de prouver qui nous sommes, de prouver que tous sont dignes d’être éternel. Elle vole ma liberté. Celle que je possède depuis que je suis Lion. Mais on ne peut reculer, faire un pas en arrière. Gaël m’écoutait, attentivement, toujours avec ce regard impassible. Je détournais mes yeux, regardant la pluie s’abattre sur le rebord de la fenêtre.

-Rien ne m’a été plus cruelle que de vivre dans ce monde, dis-je d’une voix triste. Être prisonnier du dédale n’était rien. Être prisonnier de ces chaînes n’était rien.

-Qu’est-ce que le dédale ? J’avoue avoir du mal à comprendre. D’où viens-tu ?

-C’est une longue histoire, je le crains. Mais avec la journée qui s’annonce, je vais avoir le temps de te la raconter.

-Attends, attends ! Je ne suis pas prête. Je vais chercher à manger.

Elle semblait si innocente. Elle partit à toute vitesse, faisant trépider le vent par ses pas rapides. Elle revint quelques minutes plus tard avec un plat de pâtisseries et une autre côte de bœuf. Elle disposa deux coussins pour être plus à l’aise, me regardant avec empressement.

-Je suis prête, maintenant. J’ai de quoi manger, quelques coussins pour mes fesses. Et voilà !

J’ai du mal à croire que derrière ce visage, elle puisse être d’une charmante compagnie, sans la moindre moquerie, sans le moindre dégoût de ma personne. Elle s’intéressait vraiment à moi, comme une amie. Alors je commençais mon histoire.

-Mon passé est un peu lourd. Alors je dirai simplement, pour commencer, que ma vie n’était pas destinée à vivre comme un lion. Peut-être ne me croiras-tu pas pour le moment ? Moi-même je n’en revenais pas. Mais pour que cela paraisse moins long et pour ne pas que tu dors devant moi, je vais te raconter, dès maintenant, comment j’ai détruit mon monde, ne laissant comme survivant qu’une seule personne, un roi elfe. Mais il y a des chances que je divague. C’est un peu loin dans mon esprit. J’ai réveillé un ancien peuple d’elfe. Ils détestaient les Hommes, les méprisaient à un point que je ne peux te le dire. Nous les avons détruits, jusqu’au dernier. Mais après quelque temps, je m’en voulais. Plusieurs fois, j’ai tenté de m’enlever la vie. Les miens se sont mutilé pour avoir les meilleurs terres, jusqu’à ce que je devienne l’unique habitant de ce monde…

-Tu as tué les tiens !? Je ne te croyais pas si barbare.

-Attends ! Laisse-moi continuer. Je te raconte mon histoire et tu me critiques. Démone ! Tu me raconteras ton histoire et je dormirai devant toi. Tu verras que ce n’est pas très agréable.

-D’accord, c’est bon, dit-elle en riant. Tu peux continuer.

-Je l’espère pour toi. Bon ! Où en étais-je ? Ah oui ! J’ai détruit mon monde. Les ravages de la guerre étaient monstrueux. J’ai attendu que l’herbe repeuple la terre, que les arbres redeviennent les rois de la forêt et que le ciel, sans nuage, redevient bleu. Un jour, un cerf au pelage d’or était souffrant. Je lui ai donné mon aide et j’ai eu l’impression qu’il m’avait parlé. J’avais des rêves étranges : un monde sans nuit, où le soleil brillait de son éclat le plus fort. Il y avait aussi une ville, Sigil, un royaume où il y avait un millier de portails. Je me rappelais avoir déjà lu un livre sur cette cité. Je décidais donc de m’entailler le poignet. Là je te coupe bien des passages, mais ils ne sont pas importants. Tu le sauras bien assez tôt. Ne me regarde pas comme cela. Je continu. J’ai traversé une lumière blanche et je suis atterri sur ce monde, Krigala, la terre sans nuit. C’est à ce moment que je devins un lion. Je ne me rappelais plus de qui j’étais, mais le cerf d’or m’a aidé. Tu imagines ? Le cerf que j’avais sauvé de la mort était là, devant moi. On pouvait devenir des animaux plus forts, plus sages, mais il fallait le mériter. Je ne sais comment j’y suis arrivé, mais je suis devenu un de ces seigneurs des animaux. On m’a donné pour mission de défendre Thessalie des plans démoniaques, d’instaurer la neutralité, pour que l’équilibre reste stable. Je partis pour Sigil, cherchant les autres, ceux qui m’accompagnent dans cette quête. Mais j’ai eu un problème. Cinq bipèdes essayèrent de me tuer. J’en ai tué trois d’entre eux. Je les ai tués d’une façon sanglante, très violente. La maîtresse des lieux, la dame des douleurs, m’emprisonna dans les Dédales. J’ai passé quatre mois dans cette prison et pourtant, j’ai le souvenir de quelques minutes. C’est en cet endroit que ces chaînes se sont liées à moi et que ces tatouages sur ma chair sont apparus…

-En seulement quatre mois, tu te rappelles uniquement de quelques minutes ?

-C’est exact. Mais je crois que c’est mieux ainsi.

-Pourquoi donc ? J’aimerais me souvenir de tout. C’est triste.

-Si tu le dis. Les autres Veilleurs ne se sont pas aperçus de ma disparition. Le temps s’était arrêté. C’est après quelques semaines que nous sommes arrivé sur Thessalie. Et devine quoi ? Mon histoire s’arrête là, bien que je l’aie abrégé de beaucoup de détails. Bon ! Maintenant, c’est à ton tour de me raconter ton histoire.

-Quoi !? Non, non et non. Tu me l’a promis, l’autre nuit.

-Ah oui ! C’est vrai. Alors j’essayerai de te découvrir peu à peu.

-Comment ?

-Je ne sais pas. On verra bien !

Je la dévisageais. Mon expression se changea. J’approchais, montrant les dents, grognant. Je me retournais, riant.

-Crois-tu seulement que je t’aurais mangé ? Je crois que cette côte de bœuf est meilleure que toi.

-Arrête cette manigance de suite. Ton plan ne fonctionnera pas. Sinon, je te découpe avec ma lame émoussée.

-Tu crois ce que tu veux… J’avais oublié ton épée et ton armure. Ta commande est arrivé. J’y ai ajouté un petit quelque chose.

-C’est quoi ?

-Non. C’est une surprise.

Elle ressemblait encore plus à une enfant. Nous dévalâmes les escaliers. On se faisait la course. Je t’aurai.

Finalement, elle arriva à la forge la première. Je sentais mon cœur battre la chamade. Cette femme se déplace comme le vent. Lorsque nous entrâmes dans la pièce ou les armes et les armures étaient entreposées, je lui montrais du museau un grand sac de tissu noir. Elle découvrit une armure en cuir noir. Elle était semblable à son ancienne armure, mais le cuir était plus léger, plus résistant. Les parties en cotte de mailles furent remplacées par des tissus rouges. Des gantelets s’ajoutèrent, maximisant ses protections.

-Aller ! Va te changer, dis-je. J’ai bien hâte de voir comment sera ma générale.

Quand elle revint, armure sur le dos, la couleur de ses yeux flamboyait d’un rouge encore plus éclatant.

-Et l’épée ? Où est-elle ?

-Tu choisis celle qui te plaît. Elles n’ont rien de spécial, mais leurs qualités les rendent aussi puissantes qu’une arme magique. En tout cas, je l’espère bien.

Elle mit la main sur une épée à la lame noire et argentée. Elle était grande et large, pouvant résister à tous les assauts. Son manche était d’argent pur, assez grand pour accueillir les deux mains d’un géant.

-Alors, dis-je. Prête à essayer ton nouvel arsenal ?

-Contre qui ? Maintenant ?

-Pourquoi pas. La pluie vient d’arrêter de tomber. Le soleil a refait son apparition. C’est le bon moment. Pour un adversaire, il n’y a que ça des soldats qui veut te vaincre.

Je dis cette dernière phrase avec un semblant de sourire.

Aveu


Quelques jours après le second tournoi, Gaël semblait troublé. Elle se plaignait de cauchemars trop angéliques, trop…bien. Ce n’était pas le type de rêve qu’elle chérissait le plus. Moi aussi, quelques fois, j’ai pensé que mes cauchemars étaient mieux que mes rêves. Je voyais bien que ce n’était pas la raison. Elle voulait me dire quelque chose. Des mots qui lui pesaient sur son âme.

-Tu me vois comment, Isil.

-Comment ?

J’ignorais totalement de quoi elle voulait parler. Elle m’offrait sa part d’adulte, maintenant. Elle ne voulait plus le garder pour elle-même.

-Je ne suis pas ce que tu crois que je suis.

-Et qui es-tu, alors ?

Elle hésitait. Je ne pouvais la forcer à dire qui elle était. Elle me l’avait promis.

-Promets-moi que tu ne le diras à personne.

-Je te le promets.

Je m’assis sur le sol près d’elle, les oreilles grandes ouvertes, prêtes à capter ses paroles qui lui faisaient mal. Elle s’installa sur un coussin.

-Si je te disais que je viens d’un autre monde, comme toi, qu’est-ce que tu dirais ?

-Tu veux dire d’un autre plan ? Comment ?

-Ce n’est pas la question. Tu dirais quoi ?

-Je ne sais vraiment pas.

-Alors, si je te disais que j’étais venu avec mes deux sœurs pour te tuer, tu dirais quoi ?

Je me remis sur mes quatre pattes, reculant.

-Je ne sais toujours pas.

-Non ! Attends ! Ne part pas ! Il faut que je le dise.

Je décidais donc de lui faire confiance, restant, du moins, sur mes gardes.

-Vous êtes trois pour m’abattre ? Et trois sœurs, en plus.

-Maintenant, elles sont deux.

-Pourquoi donc ?

-Parce qu’elles n’ont plus le contrôle sur moi, maintenant. Je crois qu’être tout simplement en ta présence a fait dissiper la malédiction.

-Comment pourrais-je te faire confiance ? Qui me dit que ce n’est pas là une autre ruse de ta part.

-Je ne sais pas. Alors, pourquoi ne m’as-tu pas châtié ? Je suis là, sans armes, sans défense. Et moi, m’étant servie de toi, tu ne fais rien ?

-Si je ne fais rien c’est parce que tu me serais bien plus utile vivante que morte. Mais avant tout, il va falloir que tu me dises tout. Et se sera après que je jugerai.

-Si tu te crois en mesure de les vaincre, tu te mets une griffe dans l’œil. Si tu me trouvais puissante, elles le sont encore plus.

-C’est ce que tu crois, ainsi est ton choix. Mais sache ceci. Tu n’as pas vu ma Flamme se déchaîner, déflagrant tout sur mon passage. Mais si tu me dis tout sur elles, j’aurai une chance. À moins que…

Je quittais la salle, laissant Gaël derrière moi.

Je vous aurai…

L’Homme sous le Lion


Je vivais par mes flammes. Les chaînes me tenaient prisonnier de ma vraie nature. Les tatouages au fer rouge sont les signes de mon esclavage. Je ne veux plus de ces flammes incontrôlables.

La nuit était venue. Je sortis de mon domaine, prenant la route vers le grand Arc. La route me menait à la rivière, là où les pêcheurs vont pêcher. J’ai toujours eu peur de l’eau. Ce liquide glacial me tue seulement en le regardant. Mais là, il me fallait tous les atouts possibles. Être un lion face à plusieurs hommes sans défense fait un massacre, mais contre une lame, il est dur de vaincre. Il fallait agir, et vite. Je pris mon élan et sautai dans la rivière. Je sentis mes flammes disparaître. Les chaînes se brisèrent, entraînant avec elles ma chair de lion. Je me débattais contre le courrant. Je souffrais sous la tonne d’eau. Et puis quoi ? Je me rappelle que quelqu’un m’avait sorti de cette rivière. Gaël…

-Alors c’était ça ton plan ?

Je crachais l’eau de mes poumons et lui dit avec un sourire:

-Je ne croyais pas que ça allait fonctionner. Mais là, j’ai un service à te demander. Si tu es vraiment avec moi, tu n’auras pas vraiment le choix.

-Lequel ?

-Apprends-moi à me battre comme un Démon.

-Crois-moi, tu vas en baver.

Elle me releva. Je semblais si léger. Nous retournâmes au château. Elle me coucha dans un lit et sortit. Lorsque je me réveillais, des vêtements étaient pliés sur une petite table de chevet à côté du lit. Une petite note reposait au-dessus : " Rejoins-moi à la salle d’entraînement ". Déjà ! Je crois bien que je vais en baver.

Je courus à la salle. Pendant le trajet, j’avais cette sensation bizarre de courir sur deux pattes. Elle m’attendait avec une série d’armes en bois placé devant ses pieds.

-Avant de commencer, tu devras m’appeler Maître à partir de maintenant. Sinon, je sévirai.

-Tu n’es tout de même pas sérieuse ?

-Qu’est-ce que j’ai dit ? Pour la première fois, je laisse passer, mais le prochain…

-Gaël…

-Suffi ! Tu veux te battre comme un démon, j’agirai comme tel. Fais le tour du terrain dix fois. Ne fait surtout pas cette face-là. Tu obéis ! Et ensuite, tu choisiras ton arme.

Je marmonnais un juron et j’entendis derrière moi : " Tu es rendu à quinze ". Le terrain était immense. Et je devais le faire quinze fois ! Elle va me le payer cher, cette agace. Je fis les tours avec toute la misère du monde. Je devrai m’habituer à mon nouveau corps.

-Essoufflé ?

Je me redressais, cherchant quelque peu mon air.

-Non, Maître.

Elle riait.

-Allez, va ! Il y a une bouteille remplie d’eau, à l’ombre.

Je m’éclipsais du soleil. Cette chaleur m’étourdissait. Et moi qui étais un lion avec des flammes, je me plains de la chaleur. Lorsque je m’approchais de l’abri solaire, j’aperçus une tâche sur le sol. Du sang…Un geste attira mon attention vers ma droite. Une femme se tenait près du cadavre du forgeron. Elle essuyait sa lame avec le tablier du défunt. Elle se releva avec un petit sourire malicieux. Je ne la voyais pas complètement, la noirceur du refuge cachait sa quasi-nudité. Je n’avais pas eu le temps d’appeler Gaël. La meurtrière tira une seconde lame et porta les deux à une vitesse folle à ma gorge. Elle pencha la tête sur le côté.

-Alors ! C’est lui dont nous sommes chargée de massacrer ? Plutôt déçu…

Elle passa sa langue sur sa lèvre inférieure, la bouche mi-ouverte.

Elle recommença à parler.

-Un joli morceau. Dommage… Il serait triste de te tuer maintenant, petit Isil. Surtout pendant une séance d’entraînement avec ma traîtresse de sœur. Pas vrai Gaël ?

J’étais hypnotisé. Elles ont l’indécence dans l’âme, les membres de cette famille. Devrais-je avoir peur ? Deux grandes épées tenaient ma gorge prisonnière, mais la simple vue de cette créature me faisait oublier qui j’étais, comment j’étais.



Ses cheveux dansaient autour d’elle, témoignant de sa force démoniaque. Son visage me paralysait. Ses yeux, d’un gris semblable à ses lames, me sondaient, sachant qu’elle m’avait à sa merci. Elle avait un tatouage sous l’œil gauche. Ses lèvres étaient douces. Ses chevaux bruns laissaient paraître quelques mèches blanches. Ses vêtements se traduisaient tout simplement par des linceuls attaché comme si comme sa. Pour le reste, je vous laisse imaginer…

Elle jubilait devant mon désarroi. Comment devais-je réagir ?

Première confrontation


Elle s’approcha de moi, détournant ses lames de mon cou perlé de sueur. Je ne tentais aucune fuite, elle aurait été vaine. Son visage s’approcha de plus en plus du mien. Elle ouvra ses lèvres et m’embrassa. Sa langue jouait avec la mienne. Elle m’attrapa la nuque à deux mains et commença à me lacérer la chair. Je ne pouvais pas décrire le sentiment que j’éprouvais en ce moment. Je sentais mon sang couler à petites gouttes sur mon vêtement. Comment me défaire de cette démone avide de plaisir ?

Elle recula. Tout en me regardant, elle souriait.

-Tu veux que j’arrête de te faire supporter cette sensation ? Compte-toi chanceux que je ne te tus pas maintenant, Isil.

-Chanceux, tu dis ? Je crois que tu es tombée sur mon charme…

-Je crois que c’est toi qui est tombé sur mon charme. Je peux faire ce que je veux aux hommes. Tu ne feras pas exception… Mais avant de te tuer, je veux voir comment tu te débrouilles avec une arme. Prends une épée de bois.

Elle alla au soleil, tenant de sa main gauche une épée courte en bois. Je pris une lame à deux mains. Je la rejoignis. Je me rappelais avoir vu Gaël se battre comme une démente. Je ne crois pas être en mesure de la vaincre…

-Que dois-je faire pour rester en vie ?

-Survis…

Elle chargea impitoyablement, m’arracha un cri de douleur venant de mon bras gauche. Du sang commença à jaillir tout au long de mon membre meurtri. Comment peut-elle couper avec une simple épée de bois ? Gaël reposait toujours sur le sol, non loin de nous. Mon assaillante continua son assaut ravageur. Je parais avec difficulté son agressivité. Elle criait, riait en me voyant fléchir à chaque coup qu’elle portait. Elle arrêta subitement.

-Bien ! Je vais tenter une dernière tentative. Si je vois que tu es toujours en vie, je te laisserai tranquille. Mais sache ceci. Je n’ai jamais vu un seul homme y survivre.

Je crachais le sang qui m’était monté à la bouche, courbé par la souffrance.

-Quelle chance !

Elle s’avança. Je me redressais, me mettant en position pour la recevoir. Il me faut survivre. Je me dois de lui résister… Je me rappelle d’une lumière blanche et de l’image d’un cerf d’or me regardant sévèrement. Il se détournait de moi. Je voulais le rattraper, mais il avait toujours une longueur d’avance sur moi. Il se retourna, me faisant face une autre fois.

-Gaël est partie à Agathion, dit-il d’une voix qui n’inspirait pas la bonne humeur.

-Pour quoi faire ?

-Je ne sais pas comment elle y est parvenue, mais crois-moi, elle n’y survivra pas.

-Mais il n’y a rien à Agathion, hormis des tunnels scellés par de gros rochés.

-Elle sait des choses dont très peu d’entités en connaissent eux-mêmes l’existence. Si elle revient, promet moi de faire attention.

-Pour quelle raison.

-Promet-le-moi.

Il se faisait plus insistant.

-C’est promis.

Je repris conscience. Un médecin était à mes côtés, changeant mes pansements. Il m’expliqua que l’on m’avait retrouvé sur le sol près de la salle d’entraînement, une épée de bois dans l’abdomen. Il me dit aussi qu’il ne s’en fallait de peu, la fièvre m’avait rongé.

-Cela fait combien de temps, dis-je tout désorienté.

-Deux mois et trois jours, mon seigneur. Nous sommes l’après-midi en ce moment.

-Quoi !? Non ! C’est impossible !

Une douleur venant de mon ventre me remit de mon hystérie.

-Et Gaël ? Où est-elle ?

-Nous ne l’avons pas revue, depuis.

N’ayant plus besoin de ses services, je lui demandais de partir. C’est ce qu’il fit aussitôt, me disant de l’appeler en cas de besoin. Je sombrais dans une solitude éternelle…

Un à l’autre


J’avais recommencé à marcher, mais la souffrance témoignait encore de sa présence à chacun de mes pas. Après deux mois et cinq semaines, la guérison n’était toujours pas totale. Quelle perte de temps. Où te caches-tu, Gaël ? Quand est-ce que tu vas revenir de cet enfer ?

Je me promenais dans la forêt, non loin du château. La lumière y pénétrait avec peine, dévoilant quelques obscurités éclaircies. Je sentais l’automne approcher. Les feuilles des grands arbres changeaient peu à peu de couleurs, créant ainsi cette harmonie du monde changeur. Les animaux hibernaux cherchaient déjà leurs nourritures pour survivre au froid du prochain hiver. Le vent se leva brusquement, mordant ma chair de ses rafales répétées. Je marchais toujours. Il m’arrachait quelques larmes, il me brûlait les yeux. Ce que nous pouvons être faible…

Mes pas me menèrent devant la caverne d’un ours. Elle me semblait inhabitée. Maintenant que je ne courrais aucun risque, je décidais de continuer. Un bruit sourd et incompréhensible me fit sursauter. Un portail, d’un bleu d’océan, se matérialisa derrière moi. Je regardais, attendant qui allait en affleurer. Quelques instants après l’ouverture, je vois un étrange personnage en sortir, titubant à chacun de ses pas. Un homme ? Bien sûr que non… Gaël semblait perdre ses forces à une vitesse fulgurante. Elle portait avec elle une épée, autre que celle dont je lui avais offerte. Elle ne possédait qu’une couleur : le noir de son ancien domaine. Gaël s’écroula sur le sol, telle une pierre tombant sur les dalles d’un parterre de marbres. Je courus difficilement à sa rencontre, ma blessure m’y empêchant à tout mouvement brusque. Lorsque je fus près d’elle, je la retournais sur le dos.

-Accroche-toi, dis-je. Je vais te ramener…

-Non ! No… Nous n’avons plus le temps…

-Si ! Nous avons tout le temps du monde.

-Tu ne comprends pas.

-Comprendre quoi ?

-Il est tr… trop tard pour moi, mais pas… pas pour toi.

-Ne dis surtout pas ce genre de chose. Je te l’interdis. Non ! Je te l’ordonne…

Elle prit une petite pause, fermant les yeux.

-Tu vas m’écou… m’écouter attentivement. Je su… suis allée au plus loin du Pand… Pandémonium pour t’aider.

-Quoi ? Avec cette épée ?

-Si on veut. Je vais te dem… demander de répéter une incantation. Si cela fon… fonctionne, mon âme ira da… dans la lame, dont celle-ci se fu…sionnera avec toi.

-Tu vas disparaître à nouveau ?

-Non… Aller, s’il… te plaît… Fait le… fait le pour moi.

Elle me regardait de ses yeux aux pupilles rouges. Je lui donnais mon accord d’un signe de tête.

-Que devrais-je dire ?

-Ptek rlak nark. Mais… attention. Tu dois prendre l’é… pée dans tes mains. Sans quoi, le …sort est annulé. Mais dé… dépêche-toi, avant qu… qu’il ne soit trop tard.

Je pris la lame dans mes mains, la serrant à en sentir la douleur dans mon ventre. Je dis la formule. Son corps dégagea une lumière vive et intense. Une nappe de brouillard apparu sur le sol, cachant Gaël en dessous. Elle se dissipa dans l’arme damnée par la nuit. La lame changea complètement. Elle se teinta de rouge sur les côtés tranchants. Le manche devint plus grand. Des ailes de chauve-souris recouvrèrent la garde, se colorant de rouge également. Elle absorbait la lumière, la tenant prisonnière de son noire obscure. Je ne pus la contempler bien longtemps, puisqu’elle se dématérialisa, fusionnant avec mes organes. À son contact, ma peau se convertit de couleur. Mes tatouages passèrent de l’orange au rouge. Ils me chauffèrent jusqu’au plus profond de mon être. Je sentis que je me mettais sur mes quatre pattes. Des poils noirs poussèrent partout sur mon corps endolori. Des griffes traversèrent le bout de mes doigts, grattant le sol. Je sentais que des chaînes sortaient de la terre, m’emprisonnant comme dans mon lointain souvenir. Ma musculature se métamorphosa comme jadis. Je ne sentais plus rien à mon abdomen.

Comment était-ce possible ?

-Tu ne seras plus faible comme tu le prétendais souvent.

-Qui parle ?

Une voix familière. Je me retournais sur moi-même, pour apercevoir en fin de compte, que la nature qui m’entourait.

-Je n’existe plus de corps, mais d’esprit. Nous sommes maintenant une moitié distincte, l’un l’autre.

-Grâce à cette lame qui est en moi ?

-Oui. Je t’ai donnée ma force. Mon Vent se mêlera à ton Feu. Mes yeux accompagneront tes yeux. Tes souvenirs seront mien. Mon passé sera tien.

Après ces mots, un souvenir macabre resurgissait de mon passé. Celui de ces cinq bipèdes voulant ma mort… Je me souviendrai toujours de cette scène.

"Le plus grand, le chef apparemment, s’avançait avec un gourdin entouré de cuir clouté. Les quatre autre faisait de même. Ils ne me laissèrent pas le choix. C’était inévitable.

Les flammes grossirent. La température monta à une vitesse fulgurante. Les murs craquèrent sous la pression. Tranquillement, leurs gourdins brûlèrent et devinrent des amas de cendres. Je marchais à leur rencontre, laissant de la cendre et de la poussière sous mes pas. Mes pas s’accélérèrent, devenant une course effrénée. À mesure que j’avançais, plus je voyais leurs expressions se changer, plus la peur se lisait. Trop tard. Le carnage commença malgré moi. Un rouge écarlate se dessinait sur les murs parallèles de la ruelle. Celui qui était à la droite du chef tomba le premier, la jugulaire lacérée par une série de griffes, lui brisant le cou au passage. Un autre se fit mordre le cou, dévoilant des nerfs et des veines. Un coup de couteau m’entailla le flanc gauche, ce qui mit fin au jour de ce bipède. Il n’en restait que deux. Ils glissèrent, le sol étant trop gorgé du sang de cette espèce, vile et lâche. Ils abandonnèrent leurs confrères jonchés sur le sol, mort depuis déjà bien longtemps. "

Ce que je voyais, elle le voyait aussi.

De nébuleuses images me déchiraient l’esprit. Je crois qu’elle voulait partager l’un de ses souvenirs. Elle n’était qu’une gamine…

" Elle préparait le déjeuné comme à chaque matin. Elle découpait trois pommes de terres et les mettait dans une petite casserole. Elle allait chercher quelques carottes dans le jardin et les avait nettoyées avec l’eau du puit. Pendant qu’elle nettoyait les légumes, un grand elfe vêtu d’une armure aux formes de lions rentrait dans la chaumine à la toiture de paille. "

J’avais un étrange pressentiment…

"Elle entendit les cris de sa mère. Ensuite, ceux de son père. Elle entra dans sa maison pour voir ses parents gisants sur le sol, se vidant de leur sang. L’elfe avait des tatouages bleus sous son œil droit… "

-Non !?

Je ne pouvais me défaire de cette image. Ce ne pouvait être moi. Et pourtant, ce visage était bien le mien.

-Je suis désolée.

-Pourquoi ce souvenir ?

Le feu de ma colère s’intensifia.

-Pour que tu saches maintenant qui je suis. Pour que tu saches maintenant pourquoi nous sommes envoyées pour te tuer.

La colère se dissipa. Je commençais à verser quelques larmes, me rappelant de ce moment.

-Je suis désolé.

-Je sais, Isil.

-Me pardonneras-tu un jour ?

-Il y a bien longtemps que je t’ai pardonné.

Cette dernière pensée me réconforta, mais pas totalement.

Nous continuâmes à nous parler, rattrapant le temps perdus…

Douce vengeance



Nous discutions toujours dans la forêt. Je débitais mes souvenirs lointains, me débarrassant d’une vieille et froide douleur. Elle m’écoutait toujours. Je la sentais s’ouvrir à moi. Je la sentais s’ouvrir à mes anciennes souffrances…

Il y avait autre chose que je sentais, également. Une chaleur trop immense pour être un simple animal. Le Feu d’une rage contenue. Elle…

Elle se dévoila, mais pourtant toujours aussi souriante et démoniaque. Toujours aussi charmante et désarmante. Toujours aussi fourbe…

-Une épée de bois dans le gosier et te voilà devant moi, debout sur tes quatre pattes ! J’en suis surprise.

-Pas autant que moi…

Je m’avançais légèrement…Attention, Isil! Pas trop vite… Gaël avait raison.

-Le Lion joue l’imprudent ?

-Suffi ! Ton aura ne m’affect plus. Ton corps sera glacial bien avant que tu atteignes le sol !

-J’aimerais bien voir ça ! Être un lion ne changera rien.

-Tu verras bien…

Je ne lui laissais pas le temps de réagir.

Je criais haut et fort

-Ta cendre sera mienne !

Le vent se leva brusquement, refroidissant l’atmosphère de son blizzard hivernal. La Flamme déchirait le ciel d’une lueur quasi infernal. Maintenant, je voyais l’aurore de ce rêve se dévoiler devant moi. Un rêve fiévreux …

-Je sais qui tu es maintenant, Fraêl. Tu n’es que l’une de ces enfants rongés par la vengeance. M’éliminer ne changera rien, je suis déjà mort, tout comme toi… Mais ta défaite me réjouira à un point que tu ne pourras le savoir.

Elle me dévisageait.

-Ce que tu as fait, ce jour-là, n’était pas digne d’un grand seigneur elfique, Isil Raithwall.

-Tu crois ?

-J’y crois ferme. Mais croit aussi ceci. Le Mal ne t’épargnera pas

-Alors ! Il n’a qu’à venir me voir. Je lui ouvre les portes de mon enceinte.

La nuit était déjà bien entamée. La lune et ses étoiles nous témoignaient de leur présence. Je voyais des gouttes de sueur perler sur son front et sa nuque, mais le vent les gela de leur course folle. Ses lames, dégainées, s’émoussaient par la chaleur que je dégageais. Mais le froid les cassa si violemment, qu’elle en sursauta.

-Tu sentiras cette nouvelle douleur.

-Détrompe-toi ! Je ne sens rien…

Je fis grimper la chaleur de mes flammes, espérant la faire changer d’avis. Des bulles se mirent à éclater de sa peau de satin, maintenant déformée par le feu. Je la regardais souffrir, me délectant de son mal. Ses cris me réjouissaient. Ses doigts fondèrent, dévoilant des phalanges noircies de cendre. Elle regardait ses bras brûler peu à peu. La chaleur perça ses joues, enflammant la langue au passage. L’eau de ses yeux s’assécha, crevant ceux-ci par la pression. Elle ne criait plus, le feu s’étant répandu dans ses cordes vocales. Son sang bouillait, son cœur battait à tout rompre. Je la voyais s’agiter, voyant sa poitrine se contracter et se décontracter. Ses agitations ne durèrent que quelques secondes, sa cage thoracique ayant implosé. Le sang fumait de sa plaie béante, les rebords se noircissant de cendre. Elle tomba à genoux, crachant des gerbes de sang déjà coagulé. Je continuais, voyant qu’elle vivait encore. Le feu se répandait toujours sur son corps. Sa peau ne devint que très difficile à percevoir. Elle s’écroula soudainement, gâchant mon plaisir de douce vengeance…

Ma folie diminua lorsque je vis qu’il ne restait que de la poudre noire sur le sol.

Le vent se calma, devenant qu’un simple zéphyr qui caressait mon pelage noir.

Je ne repris conscience de Gaël qu’après ma Fureur. Elle s’inquiétait pour moi.

Je ne voyais pas pourquoi…

Intérieur

…Réveille toi…C’est l’heure…

…

…Non…Reste…

…Reste…Dans le Noir…

…

…Il rôde…Il cherche…

…Il te veut…

…

…Ne bouge pas…

…Oui… Comme ça…

…Pense et écoute…

…

…Tu l’entends…

…Il chante…Il chante la Mort…

…De sa Lumière…Il réclame Notre noirceur…

…

…Il va te voir…

…

…S’en était de peu…

…Reste caché…

…Tu es loin… De pouvoir la remporter…Cette bataille…

…

…Ton opposé de Lumière…

…Le parfait négatif…D’un animal de Noirceur…

…Ton positif…Sentimental…Physique…

…Non…Reste là…

…Tu n’écoutes dont rien…

…La Guerre d’un intérieur tourmenté…Est dure à vaincre…

…

…Il se répand…Telle une peste bien bienfaisante…

…Un baume de vie…

…

…Je n’ai jamais rien vue de tel…

…Son aura dégage…

…La Vie…

…

…Il sème la graine …

…Il chante toujours…Le Chant mélodieux …

…

…Le Chant…Résonne…

…Il détecte…Il traque…

…

…Ton Feu ne servira à rien…

…

…Si tu veux vivre…

…Il te faudra user de ténèbres et de malices…

…Sinon…

…Le Bien aura bientôt raison…

…De toi…

…De ta Flamme…

…De ta Noirceur…

…

…Il le remplacera…

…J’en suis sur…

…Par le Bien qu’il transmet…

…Qu’il fait germer…Pousser…

…Dans les moindres recoins…De ton Être…

…

…Il sera bientôt…Trop tard…

…Pour nous deux…

…Il règnera seul…

…Nous allons disparaître…

…C’est ça que tu veux…Que je disparaisse…

…Après tout ce que j’ai fait…

…Pour toi…Pour nous deux…

…

…Je l’entends…

…Une flûte…

…

…C’est comme ça…

…Maintenant…Que tu veux être…

…Me renier…

…M’éclipser de toi…

…Pour être…

…Ça…

…La Déesse de la Nature…

…Ne sera pas fier…

…De voir son envoyer…

…Changer ainsi…De clan…De vie…

…Fait toi voir…Allez…

…Tu attends quoi…

…Tu hésites…

…

…Alors va…

…Et bats toi…

…Reste le lionceau faible et minuscule parmi ces Géants…

…Réveilles-toi…

…Et deviens le maillon faible…

Choisissons


Maillon faible… ? Cette pensée me tourmentait. L’idée que je sois la faiblesse, moi qui voulais montrer qui j’étais vraiment, ne pouvait que me troubler, me déstabiliser. Depuis cet événement dans la forêt, là où Gaël était entrée en moi, j’avais senti que je changeais, qu’elle me manipulait. Les actes perpétrer depuis lors n’ont fait que me questionner sur le bien fondé de cette entreprise douteuse. Et si elle m’avait abusé pour arriver à ses fins ? Mensonge ? C’est impossible ! Elle m’aime… Je l’ai senti… À moins que ce soit une autre écœuranterie de sa part ? Et moi je l’ai cru ! Aveugle. Aveugle que je peux être. Un Amour Noir ne peut être le vrai amour. Elle sera toujours manipulation et traîtrise…

"Nature, aide-moi… J’ai un choix à faire. Celui de vaincre et d’être malade ou d’être faible et de ne plus souffrir ? Cette Femme m’a attiré dans ses noirs desseins, où je n’ai plus de raison, plus d’existence propre. Je suis souillé par le plus grand Mal. Ainsi mes paroles semblent avoir pris le choix de la faiblesse, mais une autre partie de moi-même ne peut l’accepter. Je suis attiré par le pouvoir. J’en veux plus. Toujours plus. Sans limites. C’en est effrayant. C’est un besoin que je dois à tout prix assouvir, car elle gruge l’Animal que je suis en ce moment. C’est inacceptable… !

…

NON ! Arrête, sale garce ! Tu ne continueras pas comme ça... Ça assez duré ! "

Je crois que le choix était fait. Mais que va-t-il m’arriver maintenant ?

Ma vision se brouilla, laissant la place à un monde blanc, sans espace, sans objet. Des contours se définissaient peu à peu : des arbres, de hautes herbes, un ciel bleu, un cerf d’or…

"Voilà une vielle connaissance, dis-je. Sans doute un rêve…"

Il ne parlait pas.

Ne me reconnaît-il pas ?

C’est alors qu’un autre personnage arriva d’un pas tranquille, mesuré. Son capuchon nous cachait sa véritable identité, mais sa voix, céleste et féminine, trahissait son rang divin…

-Tu es un étrange phénomène, Isil. N’est-ce pas un don fabuleux que tu possèdes ? Manipuler le feu c’est… rare. Si puissant et tu en redemandes ? Ah non, c’est vrai ! Tu veux que j’emporte tout ton pouvoir loin de toi. Pour te sentir mieux ?

-C’est exact…

-…Il va y avoir une petite contrainte, alors. Si je t’ai choisi, c’est parce que ta force égalait les autres. Ta force de vouloir était immense, comme les autres. Ton feu aidait à surmonter toutes les petites faiblesses que tu croyais posséder. Et maintenant que vas-tu avoir ?

-Rien d’autre que moi.

Elle enleva sa capuche, découvrant un visage béni par le soleil lui-même et la nature qui l’entourait.

-Tu te verras aussi faible qu’un fermier dans sa ferme. À moins que…

-À moins que quoi ?

Un éclat d’argent vint briller dans ses yeux de saphir.

-Si tu veux rester avec les Veilleurs, il te faudra t’exclure d’eux. Et je vois par ton expression que cela ne t’enchante guère. Mais si tu réussis ce que je vais te demander, tu pourras réintégrer ce Monde plus grand que jamais, sans pour autant être plus puissant. Je vais t’envoyer dans un monde parallèle à la Thessalie, seulement le temps ne s’écoulera pas avec le même débit de secondes, de minutes ou d’heures… Il est possible que tu y restes des années, sans que le vrai monde s’en aperçoive.

-Et que devrais-je faire ?

-Tu devras voyager vers le Nord. Je vais changer ton apparence et tu devras te réhabiliter en conséquence. Comme je l’ai dit, tout ceci peut durer des années.

-Seulement ça ?

-Non… C’est une opportunité que je t’offre. C’est un sacrifice qui vaut la peine. Mais il faut être prêt à le faire… Isil, es-tu prêt à faire ce geste qui sauvera peut-être ta vie… ?

J’hésitais. Refaire ma vie…

…J’ai choisi de te proposer cette offre. C’est maintenant à toi de l’accepter ou non. Choisis…

Attisé par cette pensé, je ne pus qu’accepter sa proposition.

-Alors laissé moi le temps de dire au revoir à mes confrères…

-Ils n’ont pas à savoir. Ce ne sont pas eux qui ont des problèmes, c’est toi.

Un grand portail s’ouvrit devrant moi. Le bleu de la matrice changeait de forme, échappant des volutes de lumières d’un bleu plus léger, plus pâle.

Voilà le plus grand défi qui s’annonce pour moi. Un seul pas à faire…



------------------------
HRp: Je ne quitte pas les Veilleurs, c'est un nouveau rp que je vais commencer bientôt...