[Vyn&Inbla]Une rencontre dans la cité des mille portails

Le banc de pierre grise avait le charme de ces objets qu'on abandonne en pleine nature et qui finissent par faire partie du paysage. A défaut de pouvoir se couvrir de mousse, il avait pris la même teinte que les murs ronds qui l'entouraient, au point qu'on aurait dit qu'un géant l'avait sculpté directement dans l'un deux.
Soudain un feu brûlant apparut en son creux et y remplit le mince espace en forme de coeur, percé par le vrai sculpteur dans une tentative de l'embellir un peu.
De cette fournaise aux reflets écarlates apparut la tête, puis le reste du corps, d'un individu masculin qui roula grâcieusement sur lui-même et se releva comme si de rien n'était. Il s'épousseta brièvement et se mit en marche tandis que le portail se refermait.

La nuit s'était couchée depuis plus d'une heure déjà. La ville avait l'air terne au premier abord, informe, le léger brouillard n'arrangeant rien. Il fallait en avoir visité un certain nombre pour déceler dés les premiers pas ce qui la rendait si unique et captivante: un entrelacs de ruelles comme découpées au biseau dans des murs à l'architecture toujours changeante, ensemble monstrueux et fascinant dont on ne savait ni où il commençait, ni où il finissait.
Ici les habitants n'avaient pas l'air étrange au premier abord et les pavés n'avait rien de bien original, en tous cas sûrement pas par leur propreté. Et pourtant l'individu qui venait d'y poser les pieds, en ce soir brumeux, savait qu'il n'était pas n'importe où. Devant lui cet océan gris de passages, travées et portes dérobées n'était ni plus ni moins que le centre de toute chose.

"L'Anneau", murmura-t-il malgré lui.

Il l'avait imaginée mille fois et comme il s'y attendait, la cité était encore autre que celle de ses pensées. Lui qui avait tant lu sur elle, il n'avait jamais pu percevoir exactement ce qu'il humait dans l'air tout autour de lui ce soir là: les combinaisons infinies, le danger partout et l'espoir jamais loin du danger, le jeu éternel...
Il eut un bref soupir sous le masque blanc qui lui couvrait entièrement le visage, laissant juste voir la peau noire de sa gorge. Dommage qu'il y vienne pour se terrer comme un rat...

Il mit un bon quart d'heure à rejoindre sa destination, son sac de peau sombre tapotant ses reins tandis qu'il empruntait ruelle sur ruelle. N'importe qui aurait eu le tournis rien qu'à essayer de se repérer mais il n'avait pas ce problème, ayant appris son itinéraire par coeur avant de franchir le portail. Comme prévu tout était désert, ce cher Zonoster ne lui avait pas menti.
Il décrivit ainsi un arc-de-cercle entre les murs étroits, puis un cercle tout court, pour revenir en fin de compte à son point de départ. C'est seulement là, à quelque pas du banc par lequel il était arrivé comme un voleur, qu'il ouvrit une des deux portes découpées dans les murs blafards et la referma aussitôt derrière lui.

Quelques instants plus tard, il ouvrait une trappe circulaire située en contrebas, à laquelle menait un escalier en pente raide, jetait d'abord son sac puis se laissait glisser à son tour. L'un comme l'autre émirent un bruit sonore en rentrant dans l'eau qui inondait la pièce en-dessous. Il referma la trappe d'un violent geste du bras droit, prit sa respiration et disparut sous l'onde.
Il faisait un noir de suie dans cette pièce sans fenêtres et il n'y perdit ni n'y gagna rien en visibilité. S'appuyant sur le sol lisse et chassant l'eau avec ses jambes, à grands mouvements amples, il atteignit rapidement la base du mur opposé, chercha et trouva une ouverture relativement large et passa dans la pièce d'à côté, toujours en apnée. Le niveau de l'eau y était moindre et il put de nouveau respirer.
C'était une sorte de puit resserré, desservi par une échelle de bronze fixée au mur. ll ajusta son sac autour de son cou et grimpa avec une rare facilité la trentaine de coudées qui le séparait d'un palier tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, excepté qu'il donnait sur un puit et non sur une rue. Dans la pièce attenante, assez richement décorée, de nombreux livres tapissaient littéralement les murs.

Sans rien dire, l'inconnu posa son sac, s'essuya avec une étoffe soigneusement pliée sur un tabouret en ébène, et prit un livre à la reliure vermeil dont on lui avait marqué la page.

-Maître Marxolä, je suis profondément désolé de vous déranger...mais comme vous le vouliez, nous avons accru notre surveillance des portails.

-Me déranges-tu pour me rappeler les ordres que je t’ai donné, siffla la voix.

-Non, jamais je n’oserais mon Seigneur, s’inclina-t-il. Nous avons affecté des hommes à la surveillance des portails de L’Anneau, nous n’en avons pas assez pour une vigilance parfaite, en réalité nous n’en gardons qu’une infime fraction. Vous serez heureux d’apprendre que vous aviez, encore une fois, raison. Quelqu’un, un inconnu, a utilisé le portail du banc de Pierre- Grise.

Soudain intéressé, le maître troqua son ton indifférent pour un marqué par un l’intérêt croissant. Le subordonné se tenait au garde à vous devant une silhouette, plutôt grande et baraqué, assis sur un trône d’obsidienne d’un noir profond. L’homme portait une cape noir et seul ses yeux, d’un magnifique bleu céleste, ressortait de sous son capuchon : Ses traits n’étaient pas visible. Des pantalons de cuir à la mode sigilienne, des gants en peau de dragon, possédant des propriétés magiques propres au cuir de dragon, des bottes souples et un talisman qui pendait sur son torse dénué. Ses abdominaux et ses pectoraux à nus, une tactique d’intimidation brillamment utilisée, roulaient sous une peau au teint hâlé.

L’obscurité de la pièce circulaire était renforcée par l’unique source de lumière, un bassin rempli d’un liquide, créant une ambiance ombragée. Le réservoir, taillé à même un immense bloc de marbre blanc, se trouvait au centre de la cellule de sorte qu’un observateur averti, admettant le fait qu’il aurait trouvé le moyen d’entrer, aurait probablement remarqué que les murs avaient été élevés autour du récipient, faisant de celui-ci le centre d’attention général. D’un seul coup d’œil, l’observateur se serait rendu compte que le liquide s’apparenterait plus à un miroir qu’à n’importe lequel solution aqueuse et, le bassin en tant que tel, plus à une fenêtre.

-Le banc? Où est allé cet individu, questionna le jeune Marxolä.

-Nous nous sommes reléyés pour le suivre, malgré ses nombreux détours, mais avons perdu sa trace à…

-Quoi, hurla Vynarsh en se levant d’un bond. Tu dis avoir laissé filer la personne qui a traversé l’un des seuls portails que tu as réussi à bien faire surveiller? Tu es une honte pour notre ordre…

-Mon Seigneur, il nous a semés par une porte sur les murs blafards. Mes hommes ont vu ses empruntes s’arrêter au bord d’une trappe circulaire. Après inspection, ils n’ont pas osé ouvrir la trappe, ils ont déduit que l’être s’était échappé par la trappe…

Un grognement d’exaspération s’échappa de la bouche du jeune noble suivit précipitamment par quelques mots « …dois toujours faire tout par moi-même…que des incapables… ». Daltiglor, l’épée « vivante » s’exprima par penser à son porteur.

« Nous devrions aller y jeter un coup d’œil par nous même. Je dois m’avouer très curieux de voir où mène ce passage. Je te félicite, une excellente idée tu as eu de faire surveiller les portails. Ils nous mèneront à des trouvailles, je l’espère, fabuleuses. »

- Laisse-moi.

Le vassal salua poliment et s’en alla, en utilisant un passage mécanique complexe derrière un semblant de mur, tout en reconnaissant sa chance d’avoir pu si facilement s’en tirer, les jeux à la courte paille le désignaient à tout coup.

« Utilise les passages mécaniques, tu sais ceux qu’ils t’ont parlé… », Ricana la voix de Daltiglor en connaissant l’horreur du fils de son maître à avoir recourt à ces passages mélangeant. Il pénétra à son tour dans le passage, unique solution pour s’échapper de cet endroit, et se retrouva, après de nombreux dédales, dans un appartement, miteux, appartenant à la communauté Anarchiste. La faction Anarchiste connaissait bien les labyrinthes de Sigil et cela leur permettait aisément, relativement, d’aller et venir de la salle sombre à une propriété Anarchiste, chaque membre les utilisant allégrement, sauf le jeune Vy. Un choix personnel.

Il avait arrêté son choix sur ce deux pièces en piteux état pour sa proximité du banc-portail. En un rien de temps, d’une bonne foulée, il s’approcha de la porte indiqué par son éclaireur. L’homme l’inspecta minutieusement, une prudence jamais superflu à Sigil, avant d’y mettre sa main et de se glisser par l’étroite interstice. Un instant plus tard, il était en vu de la trappe circulaire et, sans plus de cérémonie, l’ouvrit violement avant de s’y laisser tomber. Un bruit d’éclaboussure retentit. Le froid de l’eau s’attaqua aux muscles du jeune homme qui, surpris, se débattit du mieux qu’il le pouvait. Tétanisé par le froid, il mit un certain laps de temps avant de se glisser dans l’autre pièce et s’écroula avec un bruit mat sur le sol. C’était raté pour surprendre l’individu…

L'inconnu s'interrompit, le doigt sur une page. Il était resté presque totalement immobile mais sous le bord du masque blanc, la peau noire était maintenant tendue comme la corde d'un arc. Ses oreilles effilées guettaient le silence. Il y avait quelques instants, ce silence de plomb qu'il commençait à peine à endurer avait été troublé par un clapotis caractéristique.

Déjà, pensa-t-il en reposant l'ouvrage sur la table d'ébène devant lui, j'ai connu des fiascos mais à ce point...

Il se leva. On aurait dit une fleur qui dépliait ses pétales au petit matin, en plus rapide: ses mouvements ne produisaient pas le moindre son. Avec une lenteur mesurée, il s'approcha du palier et de l'échelle qui plongeait dans le vide.
Il porta ses mains à sa ceinture et en tira deux petits miroirs ronds et plats ainsi qu'un morceau de tissu noir dont il enveloppa l'un d'eux. En tenant un dans chaque main, il étendit le bras droit vers le vide, tout doucement, le miroir voilé au creux de sa main. Avec une précision maniaque, il lui fit dépasser d'une distance infime le bord du puit. Aussitôt, il refléta ce qui se trouvait en-dessous dans le second miroir, que l'inconnu tenait dans son bras gauche. Il se retira. Puis recommenca, une fois, deux fois.
Alors l'être au masque remit ses accessoires où il les avait pris et prenant bien soin de s'éclaircir bruyamment la gorge, il alla s'installer sur le tabouret de bois noir, mit une jambe sur l'autre et attendit dans une pause nonchalante.

La respiration haletante, le cœur battant la chamade, Vynarsh se releva rapidement, ses pulsions guerrières reprenant le dessus. Devant lui, une échelle à barreaux était fixée au mur et il s’empressa d’y grimper sans plus de cérémonie. Un raclement, bruyant, de gorge le fit sursauter. Il y avait encore quelqu’un là-haut et cette même personne devait l’attendre.
Il arriva dans une pièce richement décoré mais surtout empli d’une multitude de livres. Il se serait arrêté aux ouvrages si son œil n’aurait pas aperçu une figure solitaire masqué d’un masque blanc assise sur un tabouret noir. L’inconnu, nonchalant, semblait l’attendre et Vy devinait un sourire narquois derrière ce masque.

« Fait attention, il semble dangereusement sur de lui…et sa ne me plait pas, mais vraiment pas du tout. As-tu remarqué les débris? Bizarre que toute concorde avec l’éboulement de la semaine dernière. »

« Tu pense qu’il aurait tout manigancé pour pouvoir camoufler sa venu? »

L’humain ne laissa pas le temps de répondre à sa question sans réponse et se décida à affronter l’inconnu.

-Bonjour, qui êtes vous et que faites vous dans cet endroit?

"Vous n'allez peut-être pas le croire, messire ou quel que soit le titre de civilité que vous affectionnez, répondit aussitôt l'inconnu d'une voix charmeuse, mais c'est exactement la question que je pensais à vous poser. Et pour y répondre, je ne fais que lire. J'adore les lieux calmes, silencieux, retirés et vous admettrez que cet endroit remplit parfaitement toutes ces conditions. Si j'avais pu imaginer qu'il était aussi fréquenté...
Figurez-vous que l'ami qui m'a conseillé cette retraite me l'a vendue en termes élogieux, à l'entendre il s'agissait de l'ancien puit qui servait à siphoner des citernes, détruites il y a peu par un éboulement. Je crois bien qu'il m'a joué là un mauvais tour...
Quant à qui je suis, ma foi je me nomme Lonannsis d'Artenium et je ne suis qu'un amateur de grimoires anciens et de poésie. Que me vaut l'honneur de votre visite?"

Le ton de l'inconnu confirmait les impressions de l'épée enchantée, il feignait visiblement de considérer la situation comme anodine, rien de plus qu'une simple rencontre au coin d'une rue. Il n'avait d'ailleurs pas quitté sa pose détendue.

"Saviez-vous, très cher, que par ici nous apprécions peu les personnes incapables de dire la vérité, dit-il sur un ton hargneux. Je vous recommande de me dire vous-même ce que vous faites réellement ici bas. Ne me prenez pas pour un imbécile, vous n’avez pas traversé l’eau glaciale pour venir simplement vous détendre en lisant un livre.
- Allons, cher ami, qu'est-ce qui peut bien vous pousser à nourrir de tels soupçons à mon égard?
- Je ne sais pas, peut-être le fait que vous soyez masqué, se moqua l’homme.
- Oh, ceci, fit l'individu en passant une main devant son visage. Vous auriez tort, je vous assure, il s'agit d'une coutume de mon pays natal, un enchantement scelle ce masque à ma peau jusqu'à ce que j'atteigne un âge avancé. Allons, ne voyez pas une quelconque menace chez moi, j'admets être un peu excentrique aux yeux de certains mais je ne suis qu'un modeste amateur de belles histoires. En quoi ma présence vous dérange-t-elle, êtes-vous propriétaire de ces lieux? Si jamais j'apprends que ce manant m'a conseillé un endroit qui appartient déjà à quelqun...
- Non ce lieu ne m’appartient pas. En fait, j’ignorais son existence jusqu’à ce qu’on m’apprenne votre venue ici-même. Ce qui me dérange, c’est que vous pénétrez dans cette salle une semaine, tout au plus, après que quelque chose ait fait exploser les citernes d’eau. Une coïncidence, je ne crois pas.
- Mon ami ne m'a nullement parlé d'une explosion, il s'agissait d'un éboulement dû à l'usure selon lui. Êtes-vous sûrs d'être bien renseigné? Vous savez, avant aujourd'hui je n'avais jamais mis les pieds à Sigil alors je ne saurais vous dire. Tout ce qui compte pour moi est que cet endroit est maintenant inutilisé et désert, en somme c'est ce que l'on appelle un lieu de retraite, n'est-ce pas?
- Un lieu de retraite ou votre lieu de retraite?
- Ce n'est pas que je n'apprécie pas les subtilités du language, dit l'être au masque en se levant, mais je ne vois pas trés bien la différence."

Il se mit à arpenter la pièce.

"Que désirez-vous exactement?
- J’aime savoir exactement ce qui se passe à Sigil, peu importe la magouille. Cela me permet… d’y participer dirons-nous.
- Ah oui, je vois, en fait vous aimez vous mêlez des affaires d'autrui. Eh bien c'est votre droit mais je n'ai rien de plus à vous apprendre sur ma présence ici, je ne fais que lire, rêver et méditer, je doute fort que cela vous intéresse et encore moins que vous ayez envie d'y participer."

Sa voix restait agréable mais l'agacement et l'ironie étaient maintenant perceptibles...

"Vous allez trouver en moi quelqu’un de très insistant, Messire… mais je ne partirai pas avant d’avoir obtenu mes réponses. Je suis quelqu’un de très influent dans cette ville, il serait judicieux de me faire confiance…
- Quelqun d'influent, trés intéressant... Mais je ne peux qu'insister également, je n'ai pas d'autre réponse à vous fournir que celle que je viens de vous donner."

De toute évidence, ce Lonannsis d'Arténium avait choisi la tactique de la tour naine: camper sur ses positions sans limite de durée.

"Donc vous maintenez vos dires selon lesquels vous ne faites que lire? Intéressant… Vous ne verrez donc pas d’objection à ce que je parle de cette pièce à d’autres personnes et de qui j’y ai trouvé?"

La peau noire du cou de l'individu se plissa légèrement. Il souriait visiblement mais ce devait être un sourire étrange, presque un rictus.

"Eh bien si, mon cher, j'avoue que cela me causerait grand tort. Vous comprendrez aisément, j'en suis sûr, que l'idée de subir d'autres visites comme la vôtre me déplaise. Oh, non que votre compagnie me soit désagréable! Mais je préfèrerais en effet que ma présence reste entre nous, que ce soit notre secret."

Vynarsh comprit qu’il le tenait entre ses mains. Il ne suffit que d’un rien pour faire chanter à la note une personne. Il sourit et poursuivit.

"Cela pourrait, probablement, rester notre petit secret mais… Vous aller devoir m’expliquer le pourquoi du comment. Allons, vous n’avez rien à perdre et si c’est le cas, il se pourrait que je puisse vous aider."

L'inconnu cessa d'arpenter la pièce et fit face à son interlocuteur.

"Hum... Je vois que vous êtes du genre coriace, messire. Alors soit, parlons clairement: j'ai des ennemis et je veux me tenir loin d'eux. J'ai trouvé un allié en la personne d'un être des plus étranges, à moitié fou même, qui m'a aidé à préparer ma venue dans cette ville, la Cage comme vous autres l'appelez. Il s'est servi d'artefacts au pouvoir surprenant pout faire s'effonder tout ce qui nous entoure sans toucher à un pouce de ce puit, la cachette idéale en somme. Je vous dis tout de suite, j'ignore comment ils fonctionnent et je n'ai pas le pouvoir de vous en procurer d'autres, j'ai rompu tout contact avec cet allié hier au soir et je n'ai aucun moyen de le retrouver. La seule chose qui m'intéresse actuellement est de me tenir terré comme un des rongeurs malodorants qui parcourent les sous-sols de votre cité. La balle est dans votre camp, comme disent les nobles.
- Des ennemis de quel sorte, pas ces salopards de rectifieurs j’espère ? Si vous avez quelque trouble que ce soit avec l’un d’entre eux, je peux vous aider… je ne les porte pas dans mon cœur.
- Non, non, rien à voir, ils ne sont pas de Sigil et vous ne les connaissez pas, ce sont des personnes disons... douées pour la manigance.
- Je n’étais pas venu dans l’optique de trouver une personne aussi rafraichissante et distrayante que vous, mais les Dieux semblent être de mon coté, ricana le guerrier. Vous pourriez continuer à déblatérer vos inutilités, car c’est bien ce à quoi je les compare puisque vous n’êtes rien à mes yeux, pendant des heures et jamais nous n’arriverons à rien. Je pourrais aussi vous tuer sur place, mais j’ai l’intuition que vous aller me servir convenablement. Vous êtes très intéressant mon ami. Allons donc, répondez comme un homme, par Asmodée !
- Un homme je ne suis pas, messire. Quant à vous servir, qu'est-ce que vous voulez de moi en échange de votre discrétion au sujet de ma présence ici?
- À vous de me dire ce que vous pouvez faire pour m’être utile. Je n’ai aucune raison de ne pas dire ce que je sais…fournissez m’en une.
- Je vois... Eh bien je ne vais pas faire un panégyrique de trois heures sur ma personne, je vous dirai simplement que vous auriez tort de vous passer de quelqun comme moi. Je ne sais de cette ville que ce que j'en ai lu dans des livres mais j'en sais sans doute bien plus que vous sur les secrets et la façon de les utiliser, si vous voyez ce que je veux dire. J'ai l'impression que nous nous sommes un peu investis dans les mêmes domaines vous et moi, même si vous, vous avez un vocabulaire de sicaire de base."

Le ton du masqué avait complètement changé, il était charmeur mais d'une autre manière, tout en ironie acide.

"Le tout est donc réglé. Je viendrai vous voir lorsque j’aurai besoin de vos services. Je vous salue bien bas, cracha-t-il ironiquement avant de partir."

Il s’éloigna confiant d’avoir convaincu l’inconnu d’accepter ses conditions.

Le sieur d'Arténium ne bougea pas. A ce moment là son masque remplissait parfaitement son rôle, nul n'aurait su deviner ce qui se passait dans cette tête. On entendait que le bruit sourd des membres du Sigilien s'appuyant sur les barreaux métalliques pour gagner le bas du puit.

Le masqué pivota soudain et s'accroupit pour ouvrir le sac sombre, toujours posé contre un des pieds de la table noire. Il farfouilla dedans un instant puis en tira deux petites sphères, une noire et une blanche. Elles semblaient faites d'une matière étrange, a mi-chemin entre le métal et le cristal.
Il les prit dans une main et de l'autre il extirpa de l'outre de peau foncée un étrange instrument, comme un ocarina rond en bronze. Quelqun qui avait déjà croisé la route de ce mystérieux peuple aurait reconnu la langue des Atlantes dans les caractères qui ornaient l'objet.

Il saisit la boule blanche entre le pouce et l'index et l'introduisit dans l'espèce d'ocarina par son extrémité, là où passait normalement le souffle du musicien.
Puis il porta l'instrument à ses lèvres et joua trois notes. Aucun son n'en sortit, bien que ses doigts et ses lèvres se soient activés comme ceux de n'importe quel musicien.
Il ouvrit alors l'instrument par le bas et la petite sphère fila toute seule jusqu'au centre du puit et descendit en tournoyant vers le fond, silencieuse. D'aprés les bruits qui parvenaient d'en-dessous, son visiteur était presque arrivé en bas de l'échelle.
Il mit rapidement la boule noire dans l'instrument et joua une seconde fois les trois mêmes notes, répétant en tous points la même opération. A ceci prés que lorsqu'il libéra la deuxième boule, elle fila bien plus vite que la première et en émettant un sifflement étouffé, comme une bouilloire qu'on a laissé sur le feu. Sa trajectoire fut en revanche identique.

Alors celui qui se faisait appeler Lonannsis d'Arténium posa l'instrument au sol, se releva, marcha jusqu'au palier de son insolite chambre à coucher et dit d'une voix assez forte pour qu'il soit impossible de ne pas le comprendre:

"Ravi de vous avoir connu, messire, et bon voyage à votre âme surtout!"

L'instant suivant, une explosion ronflante secoua le puit un peu plus bas. Ses murs se lézardèrent presque jusqu'à son sommet et des trombes d'eau mêlées de grâvats l'envahirent juqu'à mi-hauteur, dans un vacarme bien plus épouvantable que l'explosion elle-même...

-Ravi de vous avoir connu, messire, et bon voyage à votre âme surtout !

Vynarsh avait anticipé une action de la part de son nouvel « associé », au pire une dague bien lancé. Cette unique déclaration mis tout ses sens aux aguets, il se devait de réagir au quart de tour sans réfléchir. Daltiglor aurait pu prévenir son porteur, à l’aide de l’une de ses remarques déplacées, de l’attaque de l’homme masqué, mais se serait été une perte de temps et une perte de vie. L’épée pensante envoya une suite d’image montrant la marche à suivre à Vy s’il ne voulait pas finir comme sa mère. Une méthode bien plus rapide.

Le guerrier sauta de l’échelle en direction du mur opposé du puits et, d’un mouvement empressé, dégaina sa lourde épée en la tendant au dessus de lui à l’horizontale. Au dernier moment, avant de s’écraser sur la paroi, il frappa d’un coup d’estoc. La pointe de la large lame s’enfonça dans le mur du conduit avec une facilité déconcertante, tel un couteau d’argenterie dans un beurre laissé au soleil de midi. La position, précaire, de Vynarsh aurait pu être amusante, en d’autre circonstance, mais la gravité de la situation ne pouvait aller qu’en empirant.

Une déflagration monstre secoua la canalisation, l’homme se plaqua à la paroi pour être hors d’atteinte des débris occasionnés. Le bruit transperça ses tympans, le faisant presque lâcher prise tant la douleur était insupportable, ce qui failli lui faire perdre la vie. Ses forces commençaient à l’abandonner, il se devait de trouver une porte de sortie.
Une roche grosse comme une tête de bébé nain vint heurter le crâne du porteur de l’épée. La violence de l’impact fit lâcher prise à l’humain qui sombra dans l’inconscience des justes. Son épée se dégagea et tout deux tombèrent dans une faille venant de s’ouvrir.

Blessé à la tête, le noble perdit connaissance. Le pommeau de son épée bien calé dans son flanc, il s’abandonna à une rêverie parsemé d’explosion et de débris volant. Il avait son compte.

Messire d'Arténium n'avait pas pris la peine de vérifier si son maître-chanteur était bien mort car il était sûr qu'il lui tournait le dos lorsque le piège atlante s'était déclenché. On pouvait survivre à l'explosion mais échapper à la noyade alors qu'on se trouvait au fond du puit, il aurait fallu des ailes pour cela et des ailes vigoureuses.

L'imbécile, songea-t-il, il n'aurait jamais du venir seul, sans personne pour regarder dans son dos.

Le reste de la nuit fut consacrée à poursuivre sa lecture. Il y avait de quoi devenir fou rien qu'à penser aux heures interminables qu'il lui restait à vivre ici, avec deux ou trois distractions au total et le mur d'en face pour tout horizon.
Il avait été entraîné à se contenir et à supporter ce genre de situation mais jamais encore à ce point. Il se souvenait lorsqu'il croyait ses derniers instants arrivés, les épreuves d'où seuls un tiers, un dixième ou la moitié ressortaient vivants, au gré de la volonté de leurs maîtres. La torture de l'angoisse, pris au piège dans une jarre à peine assez grande pour contenir un enfant robuste, que le moindre de ses mouvements menacer de précipiter dans le feu. Il se souvenait qu'à la fin il en était presque venu à aimer ça. Sauf que c'était il y a longtemps, alors qu'il ne savait même pas ce qu'était la liberté, la vie tout court en fait...
Mais il n'avait pas le choix. Il se refusait à s'exiler dans quelque terre sauvage ou quelque grande ville comme Sigil elle-même, pour risquer de sentir une lame s'enfoncer dans sa nuque ou un carreau dans sa poitrine un jour comme un autre. Ils pouvaient le retrouver où qu'il aille s'il leur en donnait l'occasion, il en était sûr. Il fallait attendre, se fondre dans les immondices, ne faire qu'un avec la poussière sur les murs et attendre. Attendre son heure et le retour de bâton qu'il leur réservait.

Un peu plus tard, il était aux prises avec un problème d'échec qui lui résistait depuis un moment maintenant. Il jouait sur un jeu de carosse, un coussin brodé aux couleurs d'un échiquier et dont les pièces étaient autant de piques qui s'enfonçaient entre les mailles. C'était le moyen le plus pratique de s'adonner à ce jeu quand on se déplaçait et il détestait jouer immobile, marcher stimulait sa réflexion.
Il finit par renoncer une énième fois et posa le coussin sur la table. Avant d'aller se coucher dans un coin, il alla jeter un oeil du côté du puit. A sa désagréable surprise, le niveau de l'eau n'avait pas baissé...

Un bruit, d’une intensité négligeable, résonna dans la cellule de Messire d’Arténium. Un être mal informé aurait pu le comparer à une coupe de vin roulant sur le sol, tandis qu’un expert en nouvelle technologie y aurait vu un Blombasto. Et avec raison…

Les blombastos sont de fabrication gnome. Les petits êtres sont passé maitre, depuis bel lurette, dans leur fabrication et ils leur arrivent même de ne pas perdre tout leurs doigts lors de la confection. De forme sphérique, le blombasto s’accommode à tous les terrains. Forgé dans un alliage léger et fragile, il est rempli en son centre d’une substance narcotique instable. La substance est enfermée dans une boule de verre qui l’empêche d’entrer en contact direct avec l’air. Lorsque l’utilisateur de la bombe se sent prêt, il laisse tomber trois gouttelettes d’acide de Dragon à l’intérieur du compartiment latéral. Il lui restera ensuite plus qu’à balancer le blombasto à une distance appréciable et d’admirer le travail effectuer par le gaz qui sera libéré lorsque le verre aura complètement été détruit par l’acide. La substance narcotique est dite instable puisque les effets diffèrent selon les personnes infectés. Dans le meilleur des cas l’être se laisse tomber dans un sommeil profond, et dans les pires l’être meurt dans d’effroyables douleurs.

Soudainement, un épais gaz blanc remplaça l’air ambiant s’engouffrant dans les poumons du Sieur ne lui laissant aucune chance.

La fumé se dégagea lentement du à la mauvaise ventilation du lieu. Une silhouette solitaire se dressa dans la blancheur du gaz devenu inoffensif après quelques minutes au contact de l’air.

-Le tout est donc réglé, sourit l’individu en regardant sa victime.

Trois semaines avaient passé sans que Lonannsis ne change rien à son quotidien. Le niveau de l'eau ne baissait toujours pas et il n'avait pas le courage de chercher une solution. Il ne doutait pas d'en trouver une le moment venu et après tout il était bien venu ici pour s'y enfermer, au moins il était servi sur ce point.
Une langueur inhabituelle s'était emparée de lui. Même si sa mobilité était des plus limitées, son esprit était toujours resté actif jusqu'à présent, échaffaudant mille machinations, ruses et stratégies, comme on le lui avait appris depuis l'enfance. Il ne voyait pas juste dans sa retraite le moyen de se cacher, pour lui c'était aussi l'occasion d'affûter ses plus beaux tours pour, le moment venu, frapper un coup de maître.
Et pourtant tout cela prenait de moins en moins d'importance à ses yeux. Il avait beau s'efforcer de ne pas perdre de vue son but, petit-à-petit il se satisfaisait de sa léthargie.
Il n'aurait jamais pensé trouver aussi agréable cette sensation d'être en-dehors du monde, de ne plus pouvoir être atteint par qui ou quoi que ce soit.
Heureusement pour lui il se faisait de grosses illusions.

Il entendit un objet rouler sur la pierre lisse de sa tannière. Il comprit tout de suite, il se releva d'un bond et courut se jeter dans l'eau. Trop tard. A peine debout il sentit la fumée qui obstruait sa vue pénétrer ses narines. Il banda toute sa volonté, essaya de faire un pas mais ses pieds se dérobèrent sous lui.

La saleté, je l'ai sous-estimé...

Ce fut sa dernière pensée avant le trou noir.

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