[Xalkaïn&Asthariel]Le Noble et le Nabot

-Alors ?
-Rien monseigneur, absolument rien. Ni dans les quartiers ouest, ni dans le port.

Asthariel d’Oligos siégeait dans la salle de conseil, sur son trône. Les nouvelles n’étaient pas bonnes…

-Ah ! Nous finirons bien par le débusquer, ce petit rat !

Malgré tout ses efforts, le jeune fils de de Vallier restait introuvable. Pourtant, Asthariel sentait qu’il n’avait toujours pas quitté la cité, sans quoi les troupes des Comtes, Ducs et Barons de la région lui seraient déjà tombées dessus, mettant fin à son règne récent.

-Si je puis me permettre monseigneur… Il me semble probable qu’il ait été caché dans un quartier… plus malfamé…
-Dans ce cas mettez le feu à la Trappe ! Je le veux sous la main, maintenant ! *colère*

La Trappe… L’un des quartiers les plus dangereux d’Alphadona. Asthariel le connaissait bien, il y’ avait lui même œuvré dans l’ombre pendant des années. C’était d’ailleurs comme ça qu’il avait réussit à débusquer puis éliminer la plupart des poches de résistances qui restaient à Alphadona. Mais là, c’était différent. Ses opposants, car ils étaient forcément nombreux pour cacher ainsi l’héritier de de Vallier, semblaient toujours prévoir ses mouvements. Asthariel en venait à se demander s’ils ne changeaient pas continuellement de place.

Le messager quitta sans mot dire, préférant ressortir d’ici sans encombre. C’était la première fois qu’Asthariel perdait publiquement son sang froid. Mais juste avant qu’il parte…

-Vous là ! Oui, vous. Je veux qu’on m’amène le Lombart tout de suite, dîtes lui que je ne veux pas attendre. Oh et en passant, vous irez vous faire fouetter.

Il sourit intérieurement. Il valait vraiment la peine d’être Baron rien que pour pouvoir prononcer des phrases comme celles ci.

Zalfar, qui était resté silencieux pendant tout ce temps, observant une carte assez synthétique de la cité, se tourna vers Asthariel :

-Vous avez donc décidé de le garder avec nous, maître ?
-Qui ça?
-Le lombart.
-Je pense que oui. Il reste un homme compétent après tout, non ?
-Je n’en doute pas. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un traître…
-Oh je pense avoir trouvé une solution au problème. Vois tu, ce beau palais qu’a détenu et agrandi Onias pendant toutes ces années comporte un nombre de chambres incroyable. J’ai pensé, afin de donner aux enfants de mes fidèles serviteurs la meilleure éducation qu’il soit possible, de les faire vivre au palais. Cette petite boutonneuse d’Astride le Lombart qui nous a tant servi l’autre jour en fait partie, et elle a déjà sa chambre dans une des ailes du château. Godric n’a pas pu refuser l’offre, et je suis sûr qu’il se tiendra parfaitement tant que sa fille sera ici. Garde tes amis prêts de toi et tes ennemis encore plus prêts dit on… enfin leurs filles en l’occurrence...
-Asthariel d’Oligos, toujours deux coups d’avance hein ? *sourire*
-Oui... j’essaie. Mais je dois avouer que j’ai plus de mal ces temps ci. Je ne parviens pas à mettre la main sur le rejeton de de Vallier, malgré tout mes efforts. Il va falloir changer de méthodes, vite, avant qu’il ne quitte la ville pour rejoindre un de ses alliers.

Quelques jours plus tard, Asthariel marchait doucement dans le parc près du palais. La journée était chaude, et il aimait à profiter du beau temps en se promenant avec son jeune mais ancien ami Zalfar, Larmina étant parti avec une petite troupe de porteur et de servantes visiter quelques échoppes en ville. - au grand damne d’Asthariel, qui pensait que, si elle avait besoin de quoi que ce soit, il suffisait de le faire amener au palais… Habitude de femme, semblait il -
Les deux hommes discutaient agréablement, regardant dans l’eau des échassiers colorés, quand soudain…

-Je… Monseigneur !

Le sous-fifre s’inclina profondément. Il semblait apeuré. En réalité, il ne s’agissait pas de n’importe quel sous-fifre. Asthariel avait contacté celui là, relativement gradé, pour une mission personnelle très importante.

-Eh bien relevez vous. Qu’y a-t-il de si grave pour que vous veniez me déranger d’un air aussi excité. Vous avez mis la main sur ce morveux de Xavan ?

Le jeune fils de de Vallier, Xavan, n’avait toujours pas été retrouvé. Si Asthariel avait cru que ce gamin insignifiant lui poserait tant de problèmes, il se serait occupé de lui bien avant. Seul la vie de cet héritier pouvait réussir à rassembler les seigneurs des environs pour attaquer Alphadona. Après tout, avoir la cité la plus puissante comme alliée leur serait à tous très utile, ils avaient donc tout intérêt à préserver la lignée de Vallier maintenant, que Xavan leur rende la pareille plus tard.

-Heu… presque mon seigneur. Il semblerait qu’un convoi soit parti il y a plusieurs heures en direction du Sud Est. Nous pensons que le jeune Xavan de Vallier pourrait en être.
-Quoi ?! Vers l’Est ? Mais c’est en plein vers les terres d’Eolios Lorgaman ! Comment se fait il qu’ils aient pu sortir aussi facilement de la cité ?
-Et bien… Nous sommes confus Sir. C’est que… Dame Larmina Aldaya étaient avec eux. Elle a dit qu’elle avait une mission diplomatique essentielle à accomplir, c’est pourquoi elle devait voyager vite et léger.
-Je ne pactise avec personne ! Comment avez vous pu croire une sottise pareille… Ne vous avais je pas donné des ordres très précis sur cette femme ?
-Et bien… Nous avons bien essayé de… Mais la Baronne nous a assuré partir selon vos désirs pour une mission qui ne concernait que son Excellence elle même…
-Comment l’as tu appelée ? *sa voix était tendue, rendue froide par la colère et surtout, l’étonnement. Le tutoiement, en plus de cela, fit pallir le soldat*

« Quel culot. Je savais qu’elle ne manquerait pas de courage pour me trahir, mais de là à se faire passer pour… Ah ! »

Le capitaine, soucieux de rattraper sa bourde, proposa :

-Il n’est sans doute pas trop tard, ils doivent au beau milieu de la Mer des Sables à l’heure qu’il est... Voulez vous que je fasse envoyer un éclaireur ? Peut être ne s’agit il absolument pas de ce à quoi nous pensons.

Asthariel le fusilla du regard, l’air dédaigneux. La Mer des Sables… une immense plaine où le sable, poussé d’une vaste baie par des vents violents, s’était accumulé. Un petit semblant de désert au milieu de plaines et de forêts, un caprice de la nature.

-Bien ! Je serai de retour dans deux heures !

Après quelques pas, il se retourna, s’adressant à Zalfar :

-Oh et en fait. Celui là, quand je reviens… je le veux mort. Pas de pitié pour les traîtres.

Il sourit froidement, faisant semblant d’ignorer qu’il en était un lui même.

L'endroit ne pouvait qu'être la ferme qu'ils avaient vu à l'entrée du village. L'air empestait tant que la tête lui tournait. La paille était si inconfortable que tout son côté droit était endolori. Le vacarme était tel que les oreilles lui sillaient. La lumière était si tamisée qu'il en avait le regard flou.

Et sa mémoire revint.

La tête lui tournait à cause du choc de la chute. Son côté droit était endolori à cause de cette pierre qu'il s'était prise dans le flanc. Il avait du mal à voir parce qu'il s'était cogné la tête et qu'il était toujours étourdi. Et il avait les oreilles qui sillaient parce que le niveau sonore de l'endroit était incroyable. Qu'était-il donc arrivé?


Mini-fée s'était enfin éveillé. Le soleil allait se coucher pour la deuxième fois depuis qu'il s'était retrouvé dans l'herbe. Les gamins l'avaient abîmé... Mais ça n'arriverait plus. Armé du Marteau, il s'était élancé dans la nuit pour les retrouver. Quelques heures plus tôt, il avait déposé Baramos sur la paille, mais, voyant qu'il ne revenait pas à lui, il avait cru qu'il y était passé. Enragé, il était sorti de la ferme et avait marché d'un pas confiant vers la petite maison où les deux gamins avaient retraité après leur coup. Et là, pour la première fois hors du plan de Nidovellir, le Marteau avait donné la mort. Sur Nidovellir, Xalnaboryehn, après s'en être emparé l'avait utilisé à maintes reprises, mais pas sur Thessalie(1). D'un élan chacun, il leur avait fendu le crâne. Le Marteau était parfaitement balancé et c'était un charme que de l'utiliser. Aveuglé par la rage, Xalkaïn ne s'était pas contenté de frapper. Non. Il avait écrasé. Il avait broyé. Il s'était élancé de toutes ses forces encore et encore jusqu'à ce qu'il soit épuisé. Il se sentait terriblement bien. Ç'avait été une jouissance que de frapper ces deux êtres sans défense aucune. Il éprouvait un tel pouvoir alors qu'il frappait! Le Marteau commençait à prendre le dessus...


-J'ai la tête qui tourne Xal...
-T'dois être amoché pour m'parler comme ça!
-Hé! Ho! Baisses le volume un tantinet la brute!
-Quoi? J'parlais même pas fort...
-C'est mieux comme ça.
-Ça s'ra long? Parce que j'supporte pas d'parler comm' un faib'...
-M'enfin, je m'en balance... Il est arrivé quoi?
-T'es pris une roche dans les côtes j'crois bi'n.
-J'avais deviné... J'suis pas sot à ce point!
-Ça ins'nue quoi?
-Si tu te sens visé, je peux rien y faire.
-J'suis pas obligé d'prend' soin d'toi, hein!
-Tu te serais donné tout ce mal pour me laisser là maintenant?
-Ta gueule!
-J'avais raison, merci.

Et le nabot sortit de la ferme.


(1) Voir Que la volonté du Marteau soit qui sera publié sous peu...

-Dépêchez vous Xavan, nous seront arrivés dans quelques heures.

Elle était exténuée, tendue. Larmina, craignait qu’ils n’arrivent à temps dans les terres d’Eolios, car seul un de ses alliés pourraient protéger le jeune de Vallier et elle même.

La petite troupe avançait vite, et bien. La traversée de la Mer de Sable était ennuyeuse et difficile, mais Larmina avait choisit avec elle des hommes entraînés et de confiance.
Elle ne cessait de les exhorter d’avancer, car elle était celle qui avait le plus peur de ne pouvoir échapper à leurs poursuivants, venant d’Alphadona.

Alors qu’une légère brise faisait voler des grains de sable vers son visage, elle tira encore un peu plus le voile rouge qu’elle avait mis sur sa tête pour protéger ses yeux. Elle regarda le ciel, observant les nuages gris. Quelque chose la troubla. La brise commençait à durcir, le ciel semblait plus lourd.

-Accélérons le pas! Le vent risque de nous ralentir si nous traînons.

Mais c’était pire que cela. Le vent ne cessait d’augmenter, entraînant des rafales qui leur envoyait du sable au visage, et obscurcissant le paysage. Bientôt, ils ne voyaient plus à dix mètres.

-Quelle est donc cette tempête ?! Par tout les démons !
-Non… Ce n’est pas le diable… C'est Lui, c’est Asthariel !

Se retournant, il sembla à Larmina qu’elle distinguait une silhouette s’avançant vers eux, à travers les sables. Du rouge, du blanc. C’était Lui. La jeune femme devint blême : c’était trop tard, Il les avait retrouvé. Elle eut un cri d’effroi quand elle crut entendre un rire glacial résonnant dans la tempête.

Asthariel jubilait. Tant de puissance, tant de pouvoir qui émanait de lui! Extatique. Les bras ouverts, il laissait déferler ce torrent de puissance brute qui s'échappait de lui comme un flot d'émotions incontrôlables.

Au bout de quelques minutes, c’était finit. Une légère brise chaude soulevait encore quelques grains de sables ça et là, mais le petit désert semblait êre redevenu comme auparavant, lisse et régulier.
On ne pouvait distinguer qu’une silhouette au milieu, seule. Un homme aux cheveux blancs, tendant la main, saisit un petit foulard de soie rouge qui volait jusqu’à lui, ramené par la brise. Il l’accrocha à son poignet, comme il était coutume que les chevaliers le fassent autour de leur armes pour se porter chance.

-Quel dommage... Une femme si charmante, vraiment...

- - - - - - - - - -

A Alphadona, à un carrefour prêt du marché se tenait une nouvelle potence. Au bout gisait un homme, que l'on savait être un ancien soldat, bien qu'il sembla qu'il ne porterait plus une quelconque arme désormais.

Un petit panneau indiquait devant lui:

Le Panneau a écrit:

Grillin Torne, 33 ans.
Condamnation pour tentative de trahison et complicité avec des ennemis de son Excellence le Baron Asthariel d'Oligos.

Un exemple pour tout ceux qui gardaient des espoirs de revoir la lignée de Vallier au pouvoir.

Citation :

Du pouvoir et de la servitude :

Est parfois défendue l’idée que la race humaine témoigne d’un goût naturel et démesuré pour la liberté. Est également répandue la thèse selon laquelle l’Homme n’accepterait la soumission imposée par les forts que provisoirement, sans s’y soumettre réellement, gardant toujours le secret espoir ou le désir inconscient de la liberté en lui. Comment, dans ce cas, est il possible que les hommes acceptent l’esclavagisme qui leur est, en apparence, imposé, alors qu’il est possible, même si difficile, de renverser le pouvoir et d’en prendre la place ? Ne suis-Je pas, après tout, la preuve vivante qu’il est envisageable, par la force d’une volonté inébranlable, de renverser le dominant ? Celui là qui n’a pas la force, ni le désir, de renverser le pouvoir, accepte donc sa condition d’esclave et mérite le statut d’asservi. Si les capacités et les moyens qu’il peut ou veut bien se donner ne sont pas suffisantes, il apparaît évident qu’il devient indigne du rôle de chef. De la même façon, celui qui sera capable, par ses efforts, de renverser le pouvoir en place et d’en prendre la place, sera d’une certaine manière le plus apte à assurer le pouvoir qu’il aura acquis par la même. Il sera donc légitime qu’il devienne, plus qu’un autre, celui qui aura le rôle d’asservir les autres.
Certains me diront que le pouvoir reste souvent au sein d’un même groupe et n’en change que rarement. Je leur répondrais sans hésiter que l’acquisition du pouvoir ne saurait se faire sans les capacités ou les qualités d’un individu propre, qualités qui lui sont innées ou transmises du fait de sa naissance. En effet, c’est la transmission de ces qualités par la naissance qui permet aux plus forts d’asseoir leurs fils en tant que maîtres absolus, même si une telle idée peut paraître injuste. Mais depuis quand a-t-il été déclaré et démontré que la naissance et la Nature étaient justes ? Y a-t-il une quelconque manifestation de justice lorsque le lion, prédateur incontesté des plaines arides, transmet à sa descendance non seulement ses crocs mais aussi sa technique de chasse, lesquels réunis lui ont donné la force et ont inspiré la crainte chez les chassés ? De ce fait, il serait donc impensable de laisser au dernier des sots et des faibles la responsabilité d’un royaume et de ses habitants sous le simple prétexte de justice.
Et si, encore, on me répond que l’Homme est attaché à la justice comme à la liberté, de façon naturelle, je lui répondrais que la société est plus juste que le royaume animal car cette première, au moins, laisse tout de même la chance d’une éventuelle inversion des rôles.

A. d’Oligos.

Entendant un bruissement et des coups frappés à la porte de la pièce, Asthariel se retourna pour voir apparaître son conseiller et celui qu’il pouvait presque considérer comme un ami, Zalfar.

-Je vous dérange, Sire, je le vois bien. Pardonnez moi, je repasserais plus tard.
-Et bien, je suppose que maintenant que tu as interrompu le fil de mes pensées, tu peux continuer, dit le Baron, chiffonnant la feuille qu’il avait auparavant recouvert d’encre et la jetant distraitement derrière lui.

Il aimait venir dans la bibliothèque, qui lui servait aussi parfois de bureau, afin de laisser son esprit flotter dans les méandres de pensées qu’il tentait ensuite d’accrocher avec sa plume, et avait tourné son fauteuil vers les vastes fenêtres afin de profiter de la vue du ciel et des paysages alentours.
S’arrachant de nouveau à sa rêverie, il se retourna vers Zalfar :

-Alors ? Tu as des nouvelles à m’apporter ?
-En effet maître, et je dois vous admettre qu’elles ne sont pas toutes bonnes. Les derniers rapports de la milice ont rapporté la saisie de plusieurs coffres d’armes dans divers lieux suspects situés le plus souvent au cœur de la Trappe. Tout laisse à penser qu’un trafic d’armes d’ampleur anormale ait lieu ces derniers temps, sans que nous ne puissions en connaître ni l’origine ni les destinataires.
-N’avons nous pas quelques espions, quelques gueux à envoyer là bas ?
-Hélas… Vous avez vous même ordonné le nettoyage de nombreux brigands qui avaient rejoint la Main Noire lors de la révolte, et les autres sont trop connus et nos ennemis trop prudents pour réellement s’infiltrer.
-Bah ! Ces bâtards opportunistes menaçaient de se remettre à contester l’ordre.

Se frottant le menton, les yeux dans le vide, il ajouta:

Il va donc falloir que nous nous méfions, si certains envisagent de remettre en cause mon autorité. Nous allons devoir surveiller tout le monde, tu sais que les traitres peuvent se trouver parfois plus prêt que l'on ne le pense... Trouve un responsable au hasard dans nos rangs et tue le, pour l'exemple. Je vais leur faire passer l'envie de se rebeller. Et veilles à ce qu'aucun de nos jeunes 'invités' ne sorte du palais sans mon autorisation.

Au fond de lui, il ne put s’empêcher de penser :

« Si l'un d'eux a l'intention de me renverser, il va falloir leur montrer que je suis l'unique, le légitime maître d'Alphadona. »

Voyant le regard de son maître se perdre à nouveau dans le néant, Zalfar ajouta:

-Quelque chose ne va pas?

Asthariel le regarda comme s'il semblait ne pas le voir, ou, au contraire, comme s'il semblait voir à travers lui.

-Je ne sais pas... Je suis d'humeur maussade ces temps ci...

La vivacité et la soif qui l'avaient faite Baron s'étaient éteintes. Un autre appétit était né: Alphadona ne lui suffisait déjà plus.

- - - - - - - - -

Le conseiller descendait les marches d'un pas rapide, plongé dans ses pensées. Un léger mouvement dans l'ombre attira son attention. Le Lombart.
Il ne faisait aucun doute qu'il avait surpris quelques mots de la conversation qui venait d'avoir lieu.

-Qu'est ce que tu penses qu'il fera de toi, hein? Tu crois qu'il te sera aussi reconnaissant que tu lui es fidèle? Un jour, tu verras, ce sera ton tour. Cet... homme ne s'attache à personne, il est incapable d'aimer, tu devrais le savoir...

Zalfar s'arrêta un instant, lui lançant un regard froid. Godric était l'un de ceux dont la fille était retenue en otage par le Baron. Puis, lui lançant un sourire ironique, le conseiller poursuivit sa route.

-J’m’enfonce! J’aime pas c’t’endroit.
-T’as fini de te plaindre? C’est pas moi qui ai choisi de passer par ici. Et puis, tu te plains, mais t’as pas une aile en compote, toi.
-Ouais, bon, ça va. J’suis l’méchant d’l’histoire et toi t’es l’p’tit ange victim’ d’son bourreau.
-J’osais pas l’dire…

La phrase du Deva fut interrompue par une retentissante gifle du Nabot. Encore affaibli, il n’avait su l’éviter. Le visage enfoui dans le sable, Baramos toussotait. La douleur s’était ravivée dans son flanc. Il avait le souffle court et était incapable de se retourner pour se dégager le visage le visage du sable. Soudain, il sentit la main poilue de Xalkaïn se saisir de son petit corps.

Il le déposa délicatement dans la paume de son autre main. Le fragile Deva dans la main, il reprit sa route. Il pleurait à chaudes larmes.

-J’voulais pas. J’pensais qu’tu… J’croyais qu’tu f’rais encor’ une p’tite pirouett’…
-Ouais, j’ai…

La phrase se perdit dans un toussotement venu du fin fond de l’âme du Deva.

-… compris.

***************

Cette même journée, un nain entra dans Alphadona. Sur son épaule trônait un petit être tout d’argent coloré. Soucieux que les événements passés ne se répètent pas, ils étaient entrés de nuit et s’étaient tout droit dirigés vers la première taverne qu’ils avaient aperçue. Là, les gens ne se formalisaient pas des différences. Tant qu’on buvait on était jugé normal.

Xalkaïn commanda une chope. Baramos, caché dans les cheveux de son protégé et protecteur, souffla:

-Une seule. Et n’oublie pas de t’informer sur les moyens de quitter ce plan.
-Estala – c’est comme ça qu’tu l’as app’lé? – t'plaît pas?
-C’est pas ça…
-T’as hâte d’voir Asmodée?

Le Nabot sentit le Deva trembler.

Le Deva se sentit défaillir. La seule mention de ce nom ne cessait de l’ébranler. Un cauchemar que cet être. Le pire. La Mal.

-Mini-fée ‘rait peur du N’vième?
-Barbu sans cervelle! Asmodée est dangereux!
-Un chic type… m’a confié une m’ssion et p’is c’est l’patron d’mon cousin, ange à quat’ sous.
-Si ça se trouve, il l’a sûrement fait assassiner lui-même, retaille.
-…
-Quoi? T’es pas au courant? Quand une de ses relations intéresse trop ses Barons, il l’élimine pour éviter les fuites.
-Merci, z’êtes bi’n gentil.

La chope venait d’arriver. Il la vida d’une traite et en demanda une seconde.

-Et ce qu’on avait dit?
-Qu’t’avais dit!
-C’est pour ton bien.
-C’moi qui c’mmande ici-d’dans!
-Vous êtes correct?
-D’solé, j’suis un peu perdu m’sieur.
-Ouais, t’as l’air d’un numéro.

Il avait levé la voix sans le vouloir. Le regard chargé de soupçons du tavernier alors qu’il s’éloignait l’effraya un peu. Qu’arriverait-il s’il se rendait compte qu’ils étaient en fait un duo?

-Z’avez des chambres?

Le tavernier hocha la tête. Xalkaïn lui en demanda une. Il payerait le tout à son départ. Ça lui donnerait un peu de temps pour se trouver des piécettes. Pas question! Fallait pas le prendre pour un idiot de première! Fallait payer la moitié, au moins, maintenant!

Xalkaïn et Baramos se retrouvèrent sur le parvis en moins de temps qu’il n’en faut pour crier « Par pitié, Pelor sauve ma pauvre carcasse. Celle de mon protégé aussi tant qu’à te donner cette peine. » En fait, ce fut quand même un tantinet trop long au goût de Baramos. Les deux copains(1) furent secoués par le portier pendant que le tavernier sermonnait le Nabot à propos de l’importance d’avoir de l’argent et de ne pas tenter de rouler les honnêtes commerçants avant d’être lancés à la rue.

-C’pas malin ça! M’sieur a oublié d’me dire qu’la monnaie d’Estala – c’est d’même qu’tu l’as app’lé? – ‘tait pas la même qu’celle d’Thessalie!
-T’avais rien demandé, je te ferai remarquer…
-M’la ressors pas une aut’ fois ou j’te mets une volée!
-Tu pourrais pas, t’aurais trop la trouille de me blesser.
-T’veux essayer?
-Tu vas me battre de la gauche ou de la droite?
-Mini-fée!
-Restant d’homme!
-Mini-fée!
-Toujours aussi… recherché.

Le Nabot empoigna le Marteau accroché dans son dos. Il n’avait pas réellement l’intention de frapper Baramos, seulement de l’effrayer un peu. Le Marteau de Nidavellir se félicita d’avoir une emprise solide sur le sot. Il avait d’ailleurs écarté assez rapidement l’idée d’échanger le Marteau contre une chambre. Jamais il ne tuerait le Deva. Il pourrait lui être utile. Les justiciers en quête du Bien universel faisaient parfois de bons Porteurs. Leur fanatisme les aveuglait. Et puis, à courir comme cela dans les rues d’Alphadona, ils finiraient bien par tomber sur la mystérieuse puissance…



(1) La correction que je me prendrais s’ils venaient à savoir que je les avais désignés comme des copains dans ma narration!(2)
(2) Pas un mot, hein! Ce sera notre secret

-Encore heureux qu'il ne fasse pas froid... C'est quand même incroyable que cette ordure nous envoie faire un travail d'officier...
-Silence vous! Tenez vous réellement à être pendu pour trahison envers notre seigneurie? *ton sec* De plus... Si le Baron d'Oligos nous a envoyé ici, c'est parce que cette mission est de la plus haute importance. Notre bon seigneur ne veut que la paix et la tranquillité d'Alphadona, et ne tient pas à ce qu'une bande de contestataires imbéciles viennent troubler la quiétude de la ville.
-...C'est surtout parce qu'il ne me fait pas confiance que d'Oligos vous a envoyé avec moi...
-Allons bon? Pourquoi Asthariel –enfin, le Baron- se méfierait-il de vous? Il sait que vous n'êtes pas assez stupide pour mettre la vie de votre délicieuse fille en danger... N'est ce pas?

*grommellements*

-Plus un mot maintenant... Voilà quelqu'un qui vient!

Zalfar fit un signe et la dizaine d'hommes qui les accompagnait s'immobilisa, retenant son souffle. Ils espéraient qu'ils auraient enfin trouver un coupable -ou plutôt, un bouque-émissaire- ce soir... Les longues nuits passées dans les rues, vides depuis le couvre-feu, n'étaient drôle pour personne. Les gardes, eux, aimaient mieux voir Alphadona animée, comme elle l’était en général la nuit. Outre le fait que l'attente fut moins angoissante –la semaine précédente, c’était une unité de 8 soldats du Baron qui avaient disparu d’un coup en patrouillant le soir-, il était toujours possible, la nuit, de faire pendant le service la visite d’un bar ou d’une quelconque prostituée…

Et, dans le silence des rues d’Alphadona, le vent chaud du soir apporta aux soldats l’écho de pas lourds sur le pavé en plus d’une légère odeur d’urine, le quartier n’étant pas des plus agréables de la ville.
Zalfar fit un léger signe pour leur dire d’attendre. Les soldats comprirent pourquoi : l’individu était armé d’une lourde masse. Malgré le nœud qui serrait leurs entrailles, ils étaient soulagés : un homme armé se promenant seul après le couvre-feu, cela ferait assurément un bon coupable.

Après un nouveau geste du conseiller du Baron, la troupe bondit, encerclant de leurs lances l’inconnu. Zalfar fut légèrement troublé… la silhouette était anormalement petite.

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-Monseigneur… Pardonnez moi de vous déranger à une heure si tardive, mais le sieur Zalfar souhaiterait vous voir au plus vite.
-De me déranger ?! Je dormais, sombre idiote ! Amenez ma robe de chambre, et poursuiviez.
-Il semblerait qu’ils aient réussit à appréhender un individu qui pourrait vous intéresser.
-Où l’ont-ils cueillit ? Si c’est encore un vieillard ivre comme la dernière fois, vous risquez de passer une nuit bien pire que la mienne, ma pauvre enfant.
-Au beau milieu de la Trappe, Sire. L’individu était, paraît il, armé, et apparaît comme suffisamment agressif pour… pour…
-Pour ?!
-Et bien… J’ai entendu dire qu’il pourrait avoir l’apparence d’un éventuel ennemi du Baron.

En gros, il avait l'apparence d'un bon bouque-émissaire... Et quelle apparence! Asthariel, que l’on avait pas prévenu, ne s’attendait pas à cela. Vêtu de sa robe de chambre, ses longs cheveux blancs épars sur ses épaules, il descendit les marches du château jusqu’aux cachots où il avait d’ailleurs lui même, il y avait maintenant plusieurs semaines, passé la nuit. Les soldats postés devant la cage s’écartèrent pour le laisser passer.

-Quelle horreur !