[Xalkaïn]L'Ami des Fées

Ç'aurait pourtant été si facile...

-Le troisième en partant d'la droite, non?

La voix se heurta à un silence presque total. En fait, il y eut bien une réponse à la question lancée par la voix invisible. Son écho lui revint après quelques courtes secondes. L'endroit était si dépourvu de toute lumière que la voix et son écho étaient les seules preuves que des êtres vivants pouvaient s'y aventurer. Personne, pas même celui ayant passé sa vie entière dans les souterrains n'aurait pu apercevoir le bout de ses pieds tant la noirceur avait envahi chacune des fissures de la caverne. Car la caverne était bien fissurée; l'être qui s'y promenait en avait fait la découverte plus tôt. Il s'était sûrement écorché la main ou encore se l'était-il entaillé légèrement puisqu'il avait poussé un grognement sourd suivi de quelques injures de circonstance. Bien sûr, il s'était gardé de répondre aux milles insultes que lui avait renvoyé cet écho si peu original et avait poursuivi sa route. Parce que, malgré la noirceur, la voix progressait. Probablement à tâtons vu la vitesse à laquelle l'être se mouvait, mais elle progressait. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle semblait même savoir ou elle s'en allait. La question lancée dans le vide n'était pas empreinte d'incertitude; elle semblait plutôt avoir joué le rôle d'aide-mémoire.

-C'lui-là, j'suis sûr.

S'ensuivit un léger bruit de succion qui précéda de peu le retour de l'écho. Puis, plus rien. Les bruits de pas, la lente respiration de l'être, son monologue, tout s'estompa d'un coup sec. Sur la caverne aux mille portails, le silence retomba. Pas la moindre preuve du passage de la voix ne subsisterait dans les sous-sols de Sigil. Enfin, si, il en resterait une: la mémoire du Gardien. Car, aussi bien protégée par la noirceur d'ancre qui y régnait, la salle aux mille portails avait tout de même besoin d'un Gardien pour réparer les bévues de certains visiteurs maladroits, pour rafistoler les portails abîmés par des voyageurs un peu trop frustrés de ne pas trouver leur destination ou pour... ramasser certains visiteurs qui, bien malgré eux, restaient un peu trop longtemps. Celui-ci se souviendrait à jamais du passage d'un être de petite taille, barbu de surcroît, en provenance de Thessalie et se dirigeant vers Alphadona.

Justement, sur Alphadona, le petit être pestait. Non seulement avait-il emprunté un portail à sens unique, mais il s'était en plus gourré de portail. Bien loin de se retrouver sur Baator, il avait plutôt atterri sur un plan ressemblant un peu trop à son goût à sa Thessalie natale. En fait, au premier coup d'oeil, il pouvait bien être de retour sur Thessalie. La poisse!

-T'as foiré le nabot!
-N'en rajoutes pas la mouche!
-Ange-Gardien!
-Mini-fée, ouais!

Comment s'était-il rendu là? Suivre en chaperon un nain tout droit sorti d'un plan primaire, langage pas très soigné, ignorant ou presque du multivers, incapable de garder le silence plus de trois minutes consécutives et brisant ce silence la plupart du temps pour lancer une insulte gratuite à son compagnon ailée, c'était pas la carrière de rêve de tout ange-gardien... Mais, les ordres de Pelor n'en sont pas d'ordinaires. Aussi, lorsque le Saint Patron lui avait confié cette mission, il n'avait pas eu un seul mot à redire avant de prendre le chemin de Thessalie, ce plan répugnant d'où venait ce nabot à la sale langue pendue.

-Baramos, tu devras protéger coûte que coûte le dénommé Xalkaïn jusqu'à ce que je ne te relèeve personnellement de tes fonctions. Peu importe où il s'aventurera, tu te devras de le suivre comme son ombre et d'intervenir au besoin pour le sauver. Advienne qu'il meurt, continues à le suivre même s'il se retrouve dans les Abysses.
-Et les Carcères?
-Je doute qu'il ne s'y retrouve... Asmodée a grande confiance en lui, mais il ne me semble pas assez dangereux pour qu'une tierce partie ne l'envoie valser sur le plan-prison. Enfin, les ordres tiennent là aussi. En fait, ils tiennent partout dans le multivers. Suis-je clair, Baramos?

On lui avait ensuite remis divers sauf-conduits, un certain nombre de sorts utiles pour retracer son nouveau protégé et, finalement, on l'avait rétrécie jusqu'à la taille d'un colibri un peu joufflu. Un portail à sens unique vers Thessalie lui avait été ouvert. Il tremblait toujours de la mention d'Asmodée dans sa conversation avec Pelor lorsque le vent de Thessalie s'était engouffré dans ses ailes.

Comment s'était-il retrouvé avec une fée comme chien de poche? Quel non sens que son protecteur fasse environ le trentième de sa taille tout de même! Cela devait remonter à très loin. Très loin. Probablement aussi loin que cette lettre bizarroïde qu'il avait reçue des mois plus tôt. Un cousin lointain dont il ignorait jusqu'à l'existence requérait son assistance. C'était tout à fait invraisemblable, mais il n'avait alors rien à faire et ledit cousin lui promettait puissance et richesses. Il avait mis les voiles sur l'heure. Laissant les ruelles de Ditriem - dite la Juchée vu sa position à flanc de montagne - derrière lui, il était parti pour Obscuriliem, cité du supposé cousin éloigné. Coment ce cousin dont il n'avait jamais entendu parlé avait-il réussi à le joindre? Il ne l'apprendrait que beaucoup plus tard...

-Ton cousin t'a laissé tout ce dont tu as besoin. Xalnaboryehn a fait bon travail. Il a récupéré le Marteau de Nidavellir, t'as légué une ceinture magique et un journal de bord. Il se sentait traqué et m'a demandé de lui trouver un successeur. Il a bien fait puisque je n'ai rien pu faire pour empêcher mes Barons de l'éliminer. Te voilà de l'aventure jeune Xalkaïn.

La route avait été longue. Il avait du supporter six jours de navigation - activité à laquelle il s'était juré de ne plus jamais s'adonner à nouveau - à bord d'un navire auquel il avait refusé d'accorder un nom plus élogieu que vulgaire ramassis de bois rafistolé en forme de radeau géant et avait du chevaucher une chauve-souris géante! Arrivé à terre, il s'était précipité sur le pont pour gagner la terre ferme, heureux que son périple ne s'achève. Mais, il était loin d'en avoir terminé avec son aventure. En fait, - et cela aussi il ne le saurait que beaucoup plus tard - son aventure ne faisait que commencer.

-Jeune Xalkaïn, le boulot que je te confie n'en est pas un ordinaire. Que tu le veuilles ou non, c'est un emploi à temps plein pour le restant de tes jours. À partir de maintenant, ta vie est un travail. Et c'est moi le patron.

Aussitôt débarqué, un nain vint à sa rencontre. Ne se doutant pas qu'il était si attendu, il crut d'abord à un vendeur de seconde classe aux tactiques de vente tout à fait minables, mais il se ravisa lorsque l'autre sorti un parchemin de sa poche. Le seigneur Xalnaboryehn Malin-Jardin, afin d'assurer sa sécurité et son arrivée prochaine, mettait à sa disposition une chauve-souris géante de son écurie. Xalkaïn eut un léger rire à la mention d'une écurie de chauve-souris géantes, mais il poursuivit tout de même sa lecture. Le parchemin portait le même sceau que le précédent. Il suivit le messager.

Si le cousin n'avait pas foiré...

L'arrivée sur Nessus fut des plus déconcertantes pour le nabot. Le portail qu'il avait traversé pour passer de Obscuriliem à Nessus en étant un d'occasion, l'endroit de départ avait été choisi ainsi que celui d'arrivée par le dénommé Asmodée. Nul doute que, pour le Nabot de la Nuit, celui qui l'avait mis à sa disposition avait un esprit quelque peu pervers. Une personne totalement équilibrée n'aurait pas fait débarquer un invité sur le haut d'un rempart. Mais, la preuve la plus flagrande que ce Asmodé avait l'esprit tordu, c'était d'avoir choisi comme débarcadère pour le nain le meilleur endroit de tout Nessus pour observer les bataillons, les légions, les hordes de diables en partance pour les autres plans. Xalnaboryehn resta un instant paralysé. Jamais en Thessalie il n'avait vu de telles armées. En fait, les armées de tous les Neons réunies n'auraient pu rivaliser un seul moment contre ces monstres de destruction.

-Vous appréciez?

Xalnaboryehn resta sans voix. Il était certain d'être le seul spectateur des manoeuvres militaires des troupes d'Asmodée. Depuis combien de temps l'épiait-il?

-Z'avez une bi'n belle armée.
-Loin de moi l'idée de m'approprier cette armée.
-J'vois. 'Savez quand vot' maît' va m'recevoir. C'est qu'j'ai pas toute la journée... Ça brasse à Obscuriliem.

Il s'était, alors qu'il prononçait ses dernières paroles, retourné vers son interlocuteur, abandonnant la contemplation des hordes de diables.

Les yeux de braise...

Cet homme n'était pas un lacquet; c'était impossible. Ce regard avait une touche d'invraisemblable qui laissait le nabot dans un inconfort inhabituel. Était-ce le dénommé Belzébuth qui venait lui reprocher d'avoir décliné son invitation?

-Non.
-Comment?
-Non, je ne suis pas Belzébuth.
-...

L'homme aux yeux de braise se mit à rire.

-Z'êtes qui alors?
-Un ami...

Des bruits de pas se firent entendre. L'homme aux yeux de braise tourna la tête vers les sons tout comme le nabot. Il s'agissait à coup sûr d'un valet, mais son apparence n'était pas commune. Il avait les traits d'un diable, mais la stature d'un homme. Xalnaboryehn reporta son regard vers l'homme aux yeux de braise pour l'interroger, mais il n'y était plus...

-Seigneur Xalnaboryehn Malin-Jardin, Asmodée vous recevra.

La voix avait une intonation bizarre. À la fois soumise et tranchante, brisée et rude, elle ne semblait pas appartenir à un réel valet. Elle aurait pu appartenir autant à un esclave qu'à un général. Cette hésitation n'aurait jamais existée si le nabot avait déjà entendu un général baatezu, mais il n'en était rien. Et cela c'était sans prendre en compte sa rencontre proche avec le Maître des Enfers, encore qu'il ignorât toujours s'y trouver. Elgeran lui avait si rapidement décrit Nessus qu'il croyait encore que ce n'était qu'une contrée inatteignable de Thessalie, une lande coupée du monde et si éloignée qu'elle était inconnue de tous. Sa conception du monde allait basculer sous peu...

La salle était sombre, l'atmosphère lourd. Le nain entra presque à reculon. L'être - car il ne trouva pas d'autre mot pour décrire ce qu'il trouva devant lui - était si effrayant qu'il en était majestueux. Jamais il n'y eut de doute dans l'esprit de Xalnaboryehn: cet être était assurément l'un des plus grands dirigeants de ce monde. Seulement, il ignorait toujours que ce monde n'était pas le sien. Nessus, qu'il croyait être une contrée éloignée de Thessalie, neuvième strate des Enfers, deviendrait sous peu son plan d'appartenance. Et il l'apprendrait beaucoup trop tôt à son goût:

-Xalnaboryehn Malin-Jardin, en tant que dirigeant de Nessus, il me fait plaisir de te souhaiter la bienvenue sur la neuvième strate des Enfers.

Asmodée eut un sourire malsain. Xalnaboryehn, lui, eut le souffle coupé. Ainsi, il était vraiment le Diable en personne! C'était effectivement très effrayant, beaucoup plus que dans les contes de son enfance. Comment avait-il fait pour se retrouver là? Était-il mort en passant tout simplement cette étrange porte?

-Non, je ne suis pas le Diable! Ces pauvres ne sont que mes subordonnés. Il semblerait que te en aies beaucoup à apprendre sur le multivers...

Il se mit à rire. Le nain ne comprenait pas qu'il ait pu voir dans sa tête. Il en avait vraiment beaucoup à apprendre, mais alors là beaucoup!

-Il faudra commencer par le début, je crois. Thessalie, ton monde d'origine n'est pas le seul existant. Il est ce qu'on appele un plan primaire. C'est-à-dire qu'aucun dieu majeur n'a d'influence là-bas. Il existe plusieurs plans primaires, mais aussi des plans extérieurs. Les Enfers en sont un. Ils sont divisés en neuf strates. Je suis Asmodée, Seigneur de la neuvième strate de Baator, Grand Dirigeant des Enfers. Ce que vous appelez le Paradis, je crois, n'est en fait qu'une strate des Champs Élysées. Ce serait trop long de tout t'expliquer. Contentes-toi de savoir que Thessalie n'est pas le seul plan existant. Tu as noué un peu trop de liens avec Salabesh. Assez pour que mes Barons commencent à parler de toi... Je t'envoie donc quelque part pour ta sécurité. À partir de maintenant, tu seras mon agent spécial. Et tu pars en mission dans la minute. Destination: Nidavellir. Il s'agit d'un plan où se retrouvent les grands guerriers à leur mort. Tu pars à la recherche du Marteau de Nidovellir. On t'indiquera un portail.
-Mais, comment j'vais m'retrouver? J'sais même pas c'que c'est Nidachose!
-Tu poseras tes questions à ton guide. J'ai d'autres dossiers à gérer...

Le nain s'en retourna d'où il venait à une vitesse bien supérieure à celle à laquelle il s'était avancé vers le Neuvième. Il ne saisissait pas du tout ce qu'il avait à faire ni même toute cette histoire de Barons, mais il avait compris une chose. Un être d'une puissance qu'il n'aurait même pas imaginée requérait ses services pour une mission et, de plus, la lui confiait pour l'éloigner d'un danger sur sa personne. Fier d'être le nouveau protégé du Diable, qui semblait vouloir se faire appeler Asmodée, il s'était retrouvé dans un corridor sur les talons d'un être tout à fait repoussant. Il devait cependant concéder à celui-ci qu'il était autrement moins effrayant que son supérieur.

Des centaines de questions plus tard, Xalnaboryehn Malin-Jardin, agent interplanaire - ce qu'il appréciait ce titre qu'il s'était auto-décerné - s'élança vers Nidavellir, troisième strate des domaines héroïques d'Ysgard, à la recherche d'un marteau aux pouvoirs impressionnants. Non seulement son nouveau protecteur lui offrait-il la possibilité d'échapper à ses poursuivants - qui devaient être sacrément efficaces puisqu'il n'avait jusqu'alors rien soupçonné - , mais il lui offrait aussi l'opportunité de devenir l'un des nabots les plus puissants qe Thessalie ait connu. Non déçu de son nouvel emploi du temps, il passa le portail. La sensation fut à peu près la même que lors de son premier passage dans un portail. Seulement, cette fois, se mêla à ce petit chatouillement un petit sentiment d'inquiétude. En effet, cette fois, il savait qu'il quittait un monde pour en gagner un autre. Le voyage n'en était pas un aussi simple qu'il ne le croyait. Et, en même temps, il espérait toujours que ce fut une simple arnaque visant à lui faire perdre du temps loin de son royaume. Pourquoi avoir mêlé Salabesh à tout cela? Elle était si jeune et innocente...

Il fut alors plongé dans le noir.

L'eau dégoutait autour de lui. Un petit filet lui tombait dans la barbe. À en croire sa première impression, il était dans une caverne. Soudain, la caverne se mit à bouger. Il n'y crut d'abord pas, mais lorsqu'il vit qu'un passage éclairé s'ouvrait devant lui il n'eut d'autre choix que de se faire à l'idée qu'ici les cavernes bougeaient d'elles-mêmes. C'était incroyable!

Tanné de sentir sa barbe s'imbiber de cette eau dont il ignorait la provenance et la qualité, le nain fit un pas en avant. Puis, un autre. Et, finalement, d'un pas mal assuré, il commença à marcher dans le passage qui s'était ouvert. Quelques instants plus tard, il sentit le tunnel dans lequel il se trouvait pivoter - c'est la seule chose qui lui vint à l'esprit, mais cela s'avéra véridique - pour s'ouvrir sur un autre corridor de pierres. Décidément, il ne retrouverait pas de si tôt le portail par lequel il était arrivé. Il faudrait qu'il se fasse une raison; il était bel et bien pris dans les caves de Nidavellir. Rendu à ce point, aussi bien tenter de trouver ce foutu marteau s'il existait réellement...

Sur Baator, on cherchait toujours une façon de se rendre à cette Salabesh. La trouver reviendrait à trouver cet homme qui avait terrassé les bataillons démoniaques sur Thessalie. Le chemin pour remonter à cet homme serait long, mais il existait. Et un agent infiltré sur la neuvième strate avait, bien malgré lui, déterré le premier maillon de la chaîne. Ne suffisait maintenant qu'à remonter jusqu'à la source et le tour serait joué. D'ailleurs, cette information devait être de première importance puisque, bien avant qu'il n'ait compté dix minutes après son entretien avec Belzébuth, il trouvait la mort dans une ruelle. Service commandé d'Asmodée.

La piste avait été vérifiée. Un nain avait bel et bien eu un entretien avec le Neuvième quelques heures avant de prendre le chemin de Nidavellir. Un nain qui n'était pas inconnu des informateurs postés sur Thessalie. Un certain nabot ayant noué des liens avec la souveraine d'Âpremont. Un nabot maintenant éloigné de sa terre d'origine. Éloigné de tous secours.

Il passa le portail. Nul besoin de se cacher à présent. Le nain se savait suivi. Maintenant, tout ce qui importait était de mener à bien la mission. La récompense en valait la chandelle. Certes, s'aventurer ainsi sur le plan primaire était risqué. En fait, il ignorait s'il avait l'autorisation du patron pour se découvrir ainsi sur un plan non-conquis.

La poisse! Il le suivait toujours. En passant le portail vers Thessalie, il croyait bien avoir gagné. Jamais il n'aurait cru qu'un baatezu oserait mettre pied sur Thessalie seul. Mais, bon, cela ne le surprenait pas tant que ça puisque ledit baatezu l'avait quand même pisté jusque sur Niadvellir.

À gauche, à droite, deux bifurcations rapides; il tentait vraisemblablement de le semer. Peine perdue: il ne lâcherait pas si prêt du but. D'ailleurs, dans ces ruelles sombres, le nain ne courait que pour se donner l'illusion qu'il pouvait se sortir de son mauvais pas. Si lui échouait on enverrait à coup sûr une brigade plus expérimentée et mieux équipée pour le débusquer. Il appréciait cette odeur que laissait ses proies derrière elles. Cette odeur de peur. Ce doux parfum qui précédait la fin. Et le nain la laissait transpirer de toutes ses pores. Il avait peur. Et le baatezu en jouissait. Combien de temps ferait-il durer la poursuite encore? Sûrement pas longtemps; il s'était lassé quelques minutes plus tôt de courir derrière le court sur pattes. Et d'ailleurs, cela ne servait à rien d'étirer le plaisir. L'autre tournait en rond: il ne voulait pas le mener à la demoiselle d'Âpremont. Noble attention. Mais, cela ne servait à rien. D'ailleurs, là n'était pas le but de sa mission.

Droite, gauche, gauche; il tentait toujours. Ce n'était même plus original... Il tournait en rond. Il tourna à gauche à la suite du nain. Comment? L'odeur était toujours là, mais pas le petit homme!

-'Cherchez que'qu'un?

La voix était derrière lui. Le malin s'était caché sous un porche pour passer inaperçu. Belle tentative! Seulement, il avait été trop sot pour attendre un peu et fuir dans la direction opposée. Certes, cela n'aurait pas été très utile. L'odeur qu'il laissait était telle qu'il aurait vite fait de le rejoindre, mais cela aurait au moins eu le mérite de mettre un brin de suspens dans la poursuite.

-Z'avez la trouille m'sieur le démon?

Il se permettait même d'être confiant! Décidement, ce nabot était surprenant, un phénomène en soit. Avait-il vraiment l'intention de lui tenir tête? Quel idiot...

-On vous z'a coupé la langu' quoi? Z'inquiétez pas j'vais vous renvoyer che' vous vite fait...

Arrogant en plus! Cela suffisait...

-Xalnaboryehn Malin-Jardin, général des Neons, dirigeant d'Obscuriliem, détenteur du Marteau de Nidavellir, par les pouvoirs qui me sont conférés par le dirigeant de Baator, je t'annonce que tu ne verras pas demain.

Le choc se lut jusque dans la barbe du nain. Il était terrassé. Ainsi, son exécution n'était pas commandée par les Barons. Lui qui croyait fuir un agent de Belzébuth depuis des jours...

Le baatezu sortit un long couteau de derrière son dos. Attendant depuis des jours dans son fourreau, attachée à la ceinture de son porteur, la lame allait enfin accomplir son oeuvre.

Le nain décrocha sa hache de son dos. Même cette brute charpentée comme un colosse d'arène ne lui passerait dessus avec une lame aussi courte. Il allait le terrasser. Soudain, sa hache lui glissa des mains et alla valser quelques mètres plus loin. Le baatezu le regardait avec un sourire malsain. Il recula. L'autre avança sur lui. Les pas du démon étant près de deux fois plus longs que les siens, la distance s'amoindrit entre les deux opposants. Le nain recula à nouveau. La distance se fit encore moins grande. Le manège se reproduisit ainsi jusqu'à ce que le baatezu soit à portée d'arme et que le nain perde pied en voulant se tourner et déguerpir.

-Bon voyage.

Le démon se pencha sur le petit être et enfonça sa lame sans hésitation dans les chairs du nabot. Un râle plus tard, Xalnaboryehn Malin-Jardin trépassait, emportant avec lui tout ce qu'il savait à propos de Salabesh et de l'homme aux yeux de braise.

Le baatezu se releva, jeta un dernier regard au corps et s'enfut silencieusement dans la nuit. Ni vu ni connu. Un boulot qui lui vaudrait la reconnaissance de son patron.

Un boulot qui lui aurait valu la reconnaissance de son patron...

Si il n'avait pas laissé tomber une certaine pièce sur le sol. Les Thessaliens n'y comprendraient rien, mais n'importe quel baatezu passant après lui saisirait l'importance de l'objet qu'il avait laissé tomber.

Un simple badge. Avec une simple inscription: Service Spécial d'Asmodée.

Ce n'est que quelques mois plus tard que le premier parchemin arriva à Ditriem. Malgré la promptitude de Xalkaïn à se lancer à la rescousse de son cousin, jamais il n'aura eu même l'ombre d'une chance d'arriver à temps. Bien avant son départ de Ditriem, le cadavre dudit cousin avait entamé sa décomposition dans une ruelle d'un petit village de Thessalie. Non, il n'avait même pas été rapatrié à Obscuriliem. En fait, là-bas, on ignorait même la mort du général des Neons. On croyait sûrement toujours à un voyage prolongé. Ainsi, aucune mauvaise intention n'habitait le messager qui vint chercher Xalkaïn au port. En son for intérieur, il croyait bel et bien que la lettre était de la main de Xalnaboryehn. Aurait-il plus connu son maître qu'il aurait flairé la supercherie, mais il ignorait que celui-ci n'avait jamais écrit la moindre lettre; il était dans l'incapacité d'écrire, voire de lire. Néanmoins, le jeune cousin fut mené à Obscuriliem. Acceuilli en prince, il ne s'avisa de penser que l'urgence de son transport jusqu'à la forteresse ne concordait pas avec l'absence de toute menace sur celle-ci que le deuxième soir suivant son arrivée. Certes, il n'avait toujours pas eu de nouvelles de son cousin, mais celui-ci pouvait être sorti en mission. Cependant, lorsqu'il questionna les serviteurs quant à la menace qui pesait sur Obscuriliem, on parut si étonné qu'il comprit bien vite la cause de cette ignorance.

Jamais Obscuriliem n'avait été menacée.

Furieux de s'être fait jouer de la sorte, Xalkaïn décida de repartir d'où il était venu sans même attendre le retour de son cousin. Ce fut justement cet instant que choisit une troisième lettre pour arriver.

Elle ne portait pas le même sceau que les deux premières. En fait, elle ne ressemblait en aucun point aux précédentes. Et elle n'était pas de son cousin; il l'apprendrait bien assez vite.

-Seigneur Xalkaïn de Ditriem,

Il arrêta là sa lecture. C'était tout de même flatteur de voir son nom précédé d'un titre de noblesse et suivi de sa ville d'origine comme si celle-ci lui appartenait!

-J'ai la lourde tâche de vous annoncer qu'un grand malheur s'est abattu sur votre bien-aimé cousin. En effet, alors qu'il tentait de rentrer à Obscuriliem pour vous acceuillir comme faire se doit, il a été embusqué par un groupe de pillards. Il me fait une peine immense de vous annoncer qu'aucun des membres de la garde de votre cousin n'a survécu. Mais, il me peine encore plus de vous annoncer que nul n'a survécu. Les pillards ont tout pris, de la simple bourse aux vies, tout. Ils n'ont laissé que des corps derrière eux. Mon service d'espionnage a quand même su dénicher quelques informations. Je vous invite à passer le portail situé derrière la bibliothèque du bureau personnel de Xalnaboryehn afin que nous nous rencontrions à cet effet.

Vôtre,

Asmodée

Il ne comprit alors rien à toute cette mascarade, mais, dans l'espoir de pouvoir venger la mort de son cousin, il décida de suivre les indications de cet Asmodée. Ignorant ce qu'était un portail, il comptait sur celui-ci pour se manifester lorsqu'il lui faudrait le reconnaître. Et il fut servi. Dès la seconde où il tira la bibliothèque, il sut ce qu'était un portail. Il le franchit d'un pas assuré.

Son agent avait complètement foiré! Non seulement avait-il oublié de prendre le marteau de Nidavellir sur la dépouille de Malin-Jardin, mais il avait en plus égaré son badge. Des sanctions appropriées avaient bien sûr été appliquées.

Sur la cinquième et la sixième strate, des agents d'Asmodée avaient reçu confirmation que l'on savait le Neuvième être l'artisan de la mort de Xalnaboryehn. Par chance, le Marteau de Nidavellir se trouvait toujours sur le plan de Thessalie. Les Barons ne l'avaient pas récupéré. C'était bien sûr une arme puissante, mais sa perte n'aurait pas été mortelle. Cependant, Malin-Jardin s'était donné beaucoup de mal pour le dénicher. Et Asmodée éprouvait presque du regret - et encore ce n'était qu'une poussière d'embryon de regret - pour cet être qu'il avait du supprimer après qu'il l'ait suivi avec une confiance aveugle. Maintenant, peu importait le moyen, il fallait rapatrier le marteau; ses Barons lui trouveraient sûrement une utilité quelconque si il leur tombait entre les mains. Il avait mis du temps à trouver une solution, mais il avait trouvé. Le cousin éloigné de Xalnaboryehn ferait l'affaire. Un peu sot, dévoué comme pas un, porté sur le pêché, un caractère calme et bouillant à la fois, une charpente de cogneur; il ferait l'affaire.

Le nabot entra.

Ce qu'il trouvait ironique de devoir confier une mission importante à une moitié d'homme alors qu'il ne la donnerait même pas à un homme entier.

-Voilà donc le cousin de ce cher Xalnaboryehn. Je le regrette atrocément. Cependant, l'oeuvre qu'il avait entamée doit être achevée sans quoi de grands malheurs pourraient s'abattre sur Thessalie.

Toujours toucher la vibrante corde de l'Apocalypse...

-Ton cousin avait réussi à me dénicher une relique, le Marteau de Nidavellir. Pour cela, il est parti en mission loin des siens pendant des semaines sur un plan qui ne lui est pas familier. Au fait, ta grand-mère t'as déjà compter des histoires à propos du multivers... Xalnaboryehn m'en avait glissé mot. Et bien, ce ne sont pas des légendes. Tout cela est vrai. Elle a enjolivé les noms, mais le reste est tout à fait véridique. Enfin, il a déniché le Marteau. Cependant, mes Barons ont envoyé des agents le cueillir avant qu'il n'arrive ici. Par chance, ils ont oublié de prendre le Marteau de Nidavellir ou bien il l'avait déjà mis en sûreté.

Ton cousin t'a laissé tout ce dont tu as besoin. Xalnaboryehn a fait bon travail. Il a récupéré le Marteau de Nidavellir, t'as légué une ceinture magique et un journal de bord. Il se sentait traqué et m'a demandé de lui trouver un successeur. Il a bien fait puisque je n'ai rien pu faire pour empêcher mes Barons de l'éliminer. Te voilà de l'aventure jeune Xalkaïn.

-J'peux comprendre?

-Jeune Xalkaïn, le boulot que je te confie n'en est pas un ordinaire. Que tu le veuilles ou non, c'est un emploi à temps plein pour le restant de tes jours. À partir de maintenant, ta vie est un travail. Et c'est moi le patron. Ta première mission consistera à retrouver le Marteau de Nidavellir. Tu devras t'éloigner considérablement d'Obscuriliem. Aussi, pour le retour, tu devras emprunter le portail de la montagne Sak'n'mor. De là, tu te retrouveras dans une salle complètement noire. Il faudra prendre le troisième portail à ta droite pour revenir ici.

Tous ses malheurs étaient issus de la même faiblesse. Une lacune bien simple, mais combien coûteuse dans les moments critiques. Cette faiblesse qui l'avait fait dévier de sa route pour aboutir sur ce plan alors qu'il tentait de rejoindre la Neuvième Strate.

"Il faudra prendre le troisième portail à ta droite pour revenir ici."

Il avait pris à gauche...

-Et mini-fée, il peut te dire un truc?
-Fais vit' j't'aime d'jà pas quand tu parles pas!
-Tu sais quand t'as demandé si il fallait prendre le troisième portail à droite?
-Ouais...
-J'aurais peut-être du te rappeller que tu te dirigeais vers la gauche...

Le nain retint avec difficulté une série de jurons. Il s'était encore une fois gourré entre sa droite et sa gauche! Il n'en pouvait plus. Il lui faudrait sûrement plusieurs heures supplémentaires pour regagner Baator, peut-être même quelques jours. Et Asmodée attendait toujours le Marteau...

"Il faudra prendre le troisième portail à ta droite pour revenir ici."

Et maintenant qu'il avait pris à gauche?

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