Le jour s'est levé comme le précédent sur le plus beau village de l'Érège. J'aime bien croire que c'est le plus beau; cela me fait chaud au coeur. J'aime bien le croire meilleur que tous les autres parce que cela fera de moi le meilleur des maires. C'est un concept tout nouveau par ici, mais je l'aime bien. Les seigneurs sont souvent vus comme des dictateurs qui dirigent leurs villageois d'une main de fer et je n'aime pas cela. Je ne veux pas être un seigneur; j'aime mieux être maire. D'ailleurs, je ne suis pas noble. Depuis peu, on a donné le droit aux villageois de se choisir un représentant, le maire. Ce dernier doit se présenter devant les seigneurs avoisinants afin de s'assurer que le village reste libre. Et c'est ce que les habitants de Saint-Mìrlion veulent.
Alors voilà donc, ce soir, il y aura élection. Les habitants de Saint-Mìrlion en âge de travailler dans les champs auront le droit - et pas l'obligation puisque chacun est libre par ici - d'aller voter pour choisir son maire. Nous sommes deux en compétition - si cela peut être appelé ainsi - pour le poste de maire. Ce cher Lucien, propriétaire de la taverne, et moi, Hubert, vendeur d'articles en tout genre, sommes les deux seuls qui aient eu le courage de nous présenter à la mairie. Nous sommes tous deux conscients que la tâche sera lourde; les seigneurs avoisinants sont possiblement des êtres avares de nouvelles richesses. C'est un des risques que nous acceptons de bon coeur. Larissa a la réputation d'être terre de paix et c'est ce que nous croyons qu'elle sera pour notre village. De toute façon, Ermil, la capitale de l'Érège, est juste au nord. En cas de catastrophe, nous pourrons dépêcher les enfants et les femmes par là afin de les protéger de l'envahisseur.
Je ne sais pas ce qui nous a poussé à regrouper les terres agricoles avoisinantes pour les nommer village, mais nous l'avons fait et nous devons en assumer les conséquences. Il faudra bien que nous fassions notre place dans le marché larisséen. Et pour se faire, il nous faut d'abord un représentant: le maire. Je sais déjà que j'ai le vote du vieux Jules et sa bonne femme, la vieille Fernande, les jumeaux Du Pré m'ont aussi adjoint leur appui et la veuve Grand-Maison votera sûrement pour moi aussi - elle me trouve si adorable selon ses dires. Reste à savoir ce que feront les divers agriculteurs des environs et tous ces gens que je ne connais pas. Reste que je ne crois pas que ce cher Lucien récolte bien plus de votes que sa taverne ne contient de clients, c'est-à-dire pas assez pour me battre. Je suis quand même inquiet. Il est bien gentil le Lucien, mais il parle trop fort pour être bon maire.
Je ne sais pas ce que je ferai maintenant que je suis maire de Saint-Mìrlion. Déjà, le dirigeant de Ermil m'a envoyé ses félicitations accompagnées d'une liste de questions et de demandes. Le boulot sera plus difficile que je croyais. Moi qui croyait que notre village serait libre de toutes actions, voilà que je découvre que des lois existent déjà à notre égard. De un, nous devons des comptes à la capitale de la région, Ermil. De deux, nous serons considéré comme un faubourg de Ermil. Cela fait de nous un village à part entière, mais nous devrons tout de même rendre des comptes à des instances supérieures...
D'autre part, il faut que je réunisse un conseil de ville. Nous devrons prendre nos décisions en groupe; ce sont les lois qui obligent. Finalement, je crois que je me suis embarqué dans une histoire plus grosse que je ne le croyais. Qu'à cela ne tienne: ce sera un plus grand défi à relever. À moi de prouver à tout l'Érège que Saint-Mìrlien est le plus beau faubourg - à défaut de ne plus pouvoir être un village - de la région. Et le maire du plus beau faubourg de l'Érège c'est moi, Hubert Hénault.
Cette vieille chipie de Menegilda est venue me voir aujourd'hui. Je supervisais la construction de la toute nouvelle mairie et elle s'est approchée tout doucement. Elle s'est penchée sur moi et m'a dit calmement comme pour me narguer qu'elle n'avait pas voté pour moi. Elle a ajouté que je ne pouvais pas être maire d'un village plus petit que mon ventre. J'ai répliqué que je ne faisais pas du tout d'embonpoint et que Saint-Mìrlion était maintenant un faubourg. Elle a craché que cela ne faisait que deux jours que j'étais maire et que, déjà, je prenais des décisions sans consulter la populace. Je lui ai répliqué que cela ne venait pas de moi et elle a crié que je me laissais en plus dicter mes actions par autrui. Je lui ai dit que j'en avais assez entendu pour la journée et je l'ai laissée en lui disant qu'elle n'y changerait rien. Je me suis dirigé vers ma petite échoppe. Par chance que la jolie Krystal était là pour me remonter le moral. Voyant que j'étais maussade, elle m'a souri comme elle seule sait le faire et m'a écouté bougonner pendant un moment. Ensuite, elle m'a assuré que je ne faisais pas d'embonpoint; je suis, selon ses dires, charpenté. Elle est gentille la fille de mon voisin, ce cher fermier dont j'oublie le nom.
Malgré les bons commentaires de la petite Krystal, j'ai décidé de m'entraîner plus sérieusement. À partir de ce matin j'irai courir jusqu'à la terre du vieux Jules avant de revenir jusqu'à chez moi. Je ne fais pas d'embonpoint, mais ce serait bien d'être plus en forme. Ce bon fermier m'a regardé de travers tout à l'heure quand j'ai salué sa fille avant de le saluer lui. J'espère qu'il ne m'en voudra pas trop d'avoir oublié son nom.