Au fin fond du jardin, juste avant d'arriver à la cabane à outils du vieux fermier, on avait tenté d'aménager un arrangement floral. Le tout n'avait pas survécu longtemps, mais il en restait tout de même des traces. Quelques fleurs mortes jonchaient toujours le sol, tardant à se désagréger, les allées étaient toujours visibles et, à l'entrée de celles-ci, un nain de jardin fixait inlassablement les visiteurs. Peu importe d'où l'on arrivait, on avait l'infatigable sentiment d'être observé par ce petit bonhomme. Le fermier n'avait pas lésiné sur les moyens lorsqu'il avait voulu protéger son jardin. Le nain, du haut de ses trois pieds, savait intimider n'importe qui. Mais, cet être qui semblait aussi animé qu'une bèche jouait en fait un singulier double-jeu.
Devant les humains normaux, il tâchait d'être muet et immobile comme un vulgaire bonhomme de plâtre, mais, lorsque les regards se détournaient de lui, il redevenait le jeune nain qu'il était vraiment, amant de la destruction et bien sûr de cette douce et charmante Yalana.
Ce qu'il s'était retenu, éprouvant sa volonté et le vidant de son énergie, de ne pas empêcher ces imbéciles de planter des fleurs décoratrices le long des allées qu'il gardait si vaillemment. Comment avait-on pu lui faire tel affront?
Dès la nuit tombée et ces vauriens partis, il s'était élancé dans les allées. Une à une, il les avait piétinées ou arrachées des heures durant sans jamais se lasser. Ses courtes enjambées ralentissaient considérablement le processus de destruction, mais sa rage envers ses petites créatures misérables agissait telle une paire d'ailes pour l'aider à progresser dans les rangs.
Au matin, on avait trouvé le nain à sa place, n'ayant pas bougé d'un pouce, devant une étendue dévastée. Toutes les fleurs avaient été déracinées et écrasées par un sans coeur durant la nuit. Quelques jours plus tard, après avoir débarassé le jardin des dépouilles des victimes du nabot, on tenta à nouveau une plantaison. Cette fois, le nain décida de faire durer la douleur. Lorsque la lune eut pris la place du soleil, il trotta jusqu'à la cabane à outils. Là, il chercha un moment avant de dénicher ce qu'il cherchait. Traînant deux barils d'un insecticide maison fabriqué par le fermier derrière lui, il sortit de la cabane en marchant à pas lents. Le reste de la nuit, il s'appliqua à déverser des quantités énormes de produits divers sur les fleurs. Tous les liquides y passèrent: de l'insecticide au vin en passant par le jus de bottines. Le matin suivant, on fut heureux de constater que les fleurs s'épanouissaient toujours derrière le nain protecteur. Le manège fut réalisé à nouveau les trois nuits suivantes et, au quatrième matin, on trouva les plantes terrassées. La joie du nain atteint son paroxysme lorsqu'il constata que ses travaux avaient porté fruit. Alors qu'il entendit les humains planteurs de fleurs dire qu'ils ne replanteraient plus à cet endroit, il sut sa victoire acquise.
De ce jour, on vit des créatures toutes plus bizarres les unes que les autres élire domicile dans les allées gardées par le nain. Plusieurs rats gigantesques et insectes terrifiants vinrent y trouver refuge. On eut même droit à une famille d'hommes miniatures pas plus hauts qu'une pomme. Ils s'installèrent dans un petit trou à l'intersection de la troisième rangée est-ouest et de la deuxième nord-sud. Le nain fut bien content de voir que ses allées se garnissaient et que d'autres pourraient en assurer la protection en son absence.
Ainsi, le nabot poussa ses explorations nocturnes plus loin dans ce jardin qu'il habitait et rencontra un épouvantail. Ils échangèrent longuement au sujet de ce jardin qu'ils gardaient chacun à leur façon. Le nabot en vint à raconter l'épisode de sa destruction florale. L'épouvantail démontra un certain intérêt pour cette histoire. Le nain finit par lui avouer ses orignes afin que celui-ci saisisse l'étendue de la haine qu'il vouait aux fleurs décoratrices.
D'où il venait, ces chipies prenaient tout l'espace sans faire attention à leurs voisins. Par leur faute, son père, Grostolph, et sa mère, Mathielda, s'étaient faits ensevelir durant son sommeil. Ils se faisaient vieux et ne remuaient plus depuis bien des années déjà. Les sales irrespectueuses avaient profiter qu'il ne pouvait pas les secourir pour leur voler leur espace vital. À son réveil, le nabot avait bien tenté de les sauver, mais il était trop tard. Il avait peiné à enlever une épaisseur effrayante de petites fleurs mauves pour ne voir que le bout du nez de sa mère. Celui-ci était tout dur; elle était devenue bibelot. Il n'avait pas osé déterrer son père de peur de briser cette image de nain fier qu'il voulait garder de lui.
Son parcours entre ce jour et son arrivée au Jardin Maléfique lui était flou. Il avait du rester immobile de longs moments alors qu'on se l'échangeait, si longtemps qu'il avait fini par croire qu'il serait incapable de bouger à nouveau. On l'avait couvert de papier pour l'offrir en cadeau. N'eut été la maladresse de son emballeuse qui avait fait une coche dans le papier juste au niveau de son nez - pour une fois qu'il servait - il serait devenu aussi mort qu'une vulgaire pelle. De là, on l'avait marchandé dans diverses boutiques avant qu'il n'atterrisse enfin au Jardin.
Son voeu le plus cher était maintenant de conquérir le monde afin de le débarasser du joug des fleurs décoratrices. Il voyait déjà les encyclopédies citer: Xalnaboryehn, celui qui débarassa le monde de ces sales princesses les fleurs décoratrices.
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