[Aldrator] Livre 1, La jeunesse

Le soleil faisait lentement son apparition à l'horizon des plaines et des champs . Dans quelques heures, il atteindrait son apogée, la même routine se répétait chaque jour. C'était aussi le même rythme de vie que menaient les paysans du royaume d'Auskan, se levant tôt chaque jour pour aller travailler aux champs et aller se coucher ensuite, en rêvant de tout ce qu'ils n'attendraient jamais au cours de leur vie... Certains rêvaient de gloire, d'autres de richesse, toutes les nuits, ils rêvaient d'atteindre des sommets inaccessibles pour des gens de leur classe sociale.

Tous les matins, lorsque le coq chantait, Aldrator d'Oléan se levait et allait travailler de dur labeur jusqu'au soir. Lorsqu'il s'endormait enfin, ses rêves l'emmenaient dans un univers où il était un puissant chevalier se battant pour des causes justes. Il rêvait d'égalité, car là où il vivait, cette vertu n'existait pas. Aldrator était un jeune homme d'une quinzaine d'années qui avait toujours vécu dans la misère des contrées d'Auskan. Orphelin dès son plus jeune âge, il vivait chez son oncle, un homme jovial qui méprisait les riches gens de la noblesse... La vie d'Aldrator consistait à travailler aux champs et à aller à Braltans, la capitale du royaume d'Auskan, pour y vendre du blé. Ce travail l'avait rendu bien bâti pour son âge, et il ne manquait pas de se faire remarquer par les filles des paysans.

Ce matin là, comme à chaque matin, il entendit le coq chanter et se leva en repoussant les mèches blondes qui lui cachaient le visage.. Aujourd'hui, il se rendait à la capitale pour y vendre la récolte anormalement grande de la saison.

- Oncle Lock, c'est l'heure. Oncle Lock?
- Oui, j'arrive... Je n'ai plus ton âge, jeune homme, et le réveil est de plus en plus difficile avec l'âge.
- Ce n'est quand même pas une raison pour faire la grâce matinée !
- La grâce matinée, tu parles, les riches ne sont mêmes pas couchés à cette heure! Ils préfèrent s'amuser...
- Mais nous ne sommes pas riches, mon Oncle.
-Qui a dit que la richesse était synonyme de bonheur? dit Lock sur un ton sans réplique.


D'un geste, Lock désigna les poches de blé. Aldrator s'empressa de les regrouper et de les emmener au bord du chemin, où une caravane irait les prendre.Son oncle, quant à lui, regroupait tous les articles susceptibles d'intéresser les gens. Lorsque la caravane arriva, Aldrator et Lock étaient fins prêts à charger leur marchandise. Lock, qui connaissait bien les marchands du coin réussit à trouver un chariot pour y mettre leur marchandise. Faute d'espace, l'oncle et le neveu dûrent s'asseoir aux cotés de leur blé. Le voyage de quelques heures s'amorçait bien pour tous. Vers midi, la caravane pénètra la forêt de la Lune que les elfes de Lune avaient baptisé ainsi. L'atmosphère se fit plus tendue même s'il était rare d'apercevoir des brigands dans cette partie du royaume.

- Oncle, croyez vous que des bandits pourraient s'aventurer jusqu'ici ?
- Bah, ils auraient tôt fait de déguerpir à la vue des elfes !
- Et si les elfes ne les voyaient pas ?
- Alors nous nous ferions dévaliser, et ils repartiraient les mains pleines.
- Pourquoi n'essaierions nous pas de nous défendre?
- À quoi bon? Nous ne ferions pas le poids.
- Ah bon...
- Ne t'en fais pas avec ça, ils ne viendront pas.


Au milieu de l'après-midi, la caravane sortit de la forêt, à ce point, plus rien ne pouvait ralentir les marchands en raison
de la milice qui patrouillait tous les environs des routes. Si tout allait bien, ils atteindraient la cité aux alentours de dix-neuf heures, ce qui mettrait fin à leur voyage de plus de treize heures.

Chaque fois qu'Aldrator voyait la cité, il était époustouflé par sa grandeur. Mais c'était tout relatif ; la cité ne comptait que huit milles âmes tout au plus, bien peu comparativement aux cités du Sud qui pouvaient accueillir plusieurs dizaines de milliers d'habitants. Mais Aldrator n'en avait cure, car il savait qu'il ne verrait sûrement jamais d'autres royaumes et qu'il serait condamné à une existance paysanne, aussi loin que ses rêves pourraient l'emmener, le réveil le ramènerait toujours à sa piètre existence

- Enfin arrivés ! s'écria Aldrator peu avant le coucher du soleil.
- Mais il nous reste encore à s'installer pour demain, et si nous en avons le temps, à dormir.

Lock disait cela car s'installer pourrait prendre plusieurs heures, voir même la nuit au complet. Mais ce qui importait c'était seulement d'être prêt pour le lendemain matin, le moment où les gens se rendraient au marché pour y acheter le blé qui ne se cultivait pas dans cette région du royaume en raison du relief trop inégal. Les gens se presseraient tellement autour du kiosque que la marchandise serait sûrement écoulée avant midi. Comme disait Lock :

- Mieux vaut en finir au plus vite. Cette boue et ces rats me répugnent.
- J'ai pensé qu'on pourrait aller visiter un peu l'Est du royaume, question de s'ouvrir sur de nouveaux horizons, et en plus, la récolte a été fabuleuse cette saison ; nous avons eu au moins cent-cinquante pièces d'or de plus qu'à l'habitude. Ce voyage ne nous ruinerait pas, mon oncle.
- Humm... Vas-y seul. Dans deux semaines, il devrait y avoir des marchands venant de l'Est pour aller au loin, beaucoup plus loin que notre campagne. Tu troqueras ta place à bord de leurs chariots contre tes services, mais ne rate pas cette occasion de revenir, car après l'automne, les chemins sont impraticables.
- Merci de m'accorder cette confiance, oncle.
- Bah, c'est le moins que je ne puisse faire. Et à y repenser, je t'accompagnerai, histoire de découvrir aussi à quoi ressemble l'autre bout d'Auskan !
- Alors, partons tout de suite, moi aussi je suis répugné par la boue et les rats !
- Pourquoi pas ? Après tout, nous en avons terminé ici.

Et c'est ainsi que l'oncle et le neveu se mirent à l'aventure. Ils commencèrent par aller à la taverne pour y gagner quelques pièces en jouant au jeu local, le parok, un jeu qui pouvait faire perdre ou gagner beaucoup d'argent aux nombreux joueurs. Heureusement que Lock avait grandi à Braltans et apprit à jouer au parok, car cela lui permit d'ajouter cent pièces d'or aux économies pour le voyage. Ces pièces lui permirent d'acheter des montures de qualité moyenne, ce qui ne dérangeait aucunement les deux compagnons, car leur but n'était surtout pas de se vider les poches et d'avoir à mendier pour pouvoir revenir à bon port. Au milieu de la nuit, Aldrator ne dormait pas encore, ce qui était dû à l'excitation de partir. Il lui tardait de découvrir de nouveaux endroits, d'apprendre une nouvelle façon de vivre.

Le lendemain matin, Aldrator réveilla son oncle assez tôt. Ils ne mangèrent qu'une pomme pour déjeuner tant ils avaient hâte de partir. Lorsque le soleil se leva, il y avait bien longtemps qu'ils n'étaient plus en vue de Braltans, ils allaient où bon leur semblait, choisissant la route en bon état plutôt que la route endommagée. Une chose était sûre ; ils se dirigeaient vers l'est. Tant qu'ils iraient en cette direction, ils seraient en sûreté.

- Voyons si nous pourrons trouver un endroit où dormir cette nuit, nous pourrions emprunter ce chemin, proposa Aldrator en désignant la forêt.
- Oui... Un rocher ou une grotte, quelque chose comme ça...
- J'aurais plutôt pensé à une auberge abordable.
- Rien n'est abordable lorsqu'on n'a pas beaucoup d'argent, jeune homme.
Pour toute réponse, Aldrator marmonna quelque chose d'incompréhemsible dans la barbe qu'il ne possédait pas.


Alors que les aventuriers s'étaient arrêtés, pour la enième fois, histoire de faire souffler les bêtes, Aldrator crut apercevoir une étrange lueur verte dans un buisson. Il ne pouvait détourner son regard de l'éclat d'un vert éclatant. Son oncle aussi l'avait remarqué et manifestait autant d'intérêt que son neveu à l'idée de posséder l'objet qui produisait cette lumière. Les instincts primitifs des deux hommes prirent le dessus sur leur raison, l'éclat vert était devenu synonyme de survie. La loi du plus fort déciderait du prochain possesseur de l'artefact enchanté qui était maintenant bien en vue et reconnaissable par sa forme de diamant finement taillé, mais de couleur émeraude.

- J'aurai l'artefact, jeune pleutre ! dit Lock, sans ménagement.
- Pas si je te tue avant, vieil avare ! répondit Aldrator, qui, pendant un court instant reprit le contrôle de son esprit et se surprit à vraiment vouloir tuer son oncle.

Le jeune homme s'empara alors d'une dague qu'il avait achetée en ville, et la pointa vers son oncle. Il s'approchait dangereusement quand son oncle cria .

- Non! Derrière toi! attention
- Tu ne m'auras pas avec cette vieille ruse espece de... cria Aldrator avant de perdre conscience.

Le pays des rêves fut moins accueillant cette fois, ce n'était pas la normale épopée vers la gloire dont Aldrator rêva cette nuit-là. Il rêva que des orcs avaient assassiné son oncle et l'avaient capturé, pour ensuite l'emmener dans leur campement où ils l'avaient mis dans un état de semi-sommeil pour le torturer. En fait, il ne dormait pas, il était réellement dans cet état. Chose certaine, c'était un clan important, avec un shaman doué.Celui-ci tourmentait l'esprit d'Aldrator, faisant renaître des souvenirs enfouis depuis longtemps et le rendant coupable de tous les maux du monde. Le shaman était puissant, très puissant et il émanait de lui une lueur verte. La lueur mais surtout le pouvoir du shaman devaient provenir d'un artefact, assez redoutable sinon Aldrator ne se serait sûrement pas laissé charmer par la magie d'un orc. Un artefact assez redoutable pour rendre un vulgaire orc redoutable.


L'émeraude de Dantar, un artefact vieux de plus de deux mille ans, était devenu maître dans l'art de corrompre les esprits et de s'approprier un maître assez puissant pour pouvoir parvenir à réaliser ses projets d'asservissement des habitants de Thessalie. C'était elle qui choisissait son maître, et son maître ne la choisissait jamais. Chaque fois qu'elle pouvait avoir un maître plus puissant qu'un autre, elle changeait, gachant ainsi la vie de son nouveau maître et tourmentant à vie les pensées de celui qu'elle venait de laisser. La même routine chaque fois, et ce, depuis des siècles.


Créée à l'époque par un roi sage, elle avait servi à protéger les frontières du pays en laissant passer les alliés et en bloquant la route aux ennemis grâce à un bouclier invisible qui englobait le royaume. Évidemment, une telle magie était complexe, et une faille s'était à coup sûr formée dans l'organisation de l'artefact. Une faille qui fut découverte trente ans après sa création et dont il fallu dix ans de formules et de calculs avant de pouvoir être exploitée par l'ennemi juré du roi Dantar, un roi nommé Ygilor. Ce roi haineux était celui qui avait été le plus jaloux du pouvoir de l'émeraude, et aussi celui qui avait le plus misé sur la possibilité qu'une faille magique se soit glissée dans l'artefact lors de sa création. Lorsque les mages d'Ygilor purent enfin être sûrs de tourner le pouvoir de l'émeraude à leur avantage, la guerre se déclara. Le royaume de Dantar fut attaqué de toutes parts et il n'était pas prêt à recevoir un tel assault, car tout le monde croyait que la magie de l'émeraude suffirait à repousser les envahisseurs potentiels, donc on avait donc cessé d'entraîner des soldats, car l'émeraude faisait le travail, du moins jusqu'au jour où Ygilor entra en jeu.

Les armées d'Ygilor envahirent le royaume de Dantar, tuant les paysans, violant les femmes et mutilant les jeunes. Les nobles furent torturés autant physiquement que mentalement. On les faisait mourir torturés chaque jour, pour ensuite revenir à la vie puis retourner au trépas. Les jeunes mutilés étaient ridiculisés en public et on battait les captifs sur les places publiques des cités qu'Ygilor s'était appropriées. Pendant cinq ans, Ygilor répeta les tortures et étendit son pouvoir de plus en plus loin sur Thessalie. Repoussant toujours des adversaires de plus en plus démoralisés et moins farouches. Ceux qui refusaient de se rendre mourraient pestiférés, car la peste était une arme puissante.

Après ces cinq années de domination, les anges et les aasimars vivant dans le plan de l'Arcadie et des Champs Élysées surent qu'il ne s'agissait pas de simples escarmouches. Thessalie était en jeu, et qui s'appropriait Thessalie risquait de s'approprier des plans extérieurs de plus en plus importants. On décida d'intervenir. Un ange du nom de Anbrim rassembla les anges et les aasimars pour créer la plus grande armée qui traversa le plan astral. Moins d'une semaine plus tard, plus de trente mille anges et dix mille aasimars traversèrent en direction de Thessalie. Un des plus grands assauts s'ensuivit, la magie de l'émeraude ne suffit pas a protéger Ygilor et son royaume. On tua le roi mais il eut le temps d'envoyer son émeraude en sécurité quelque part dans Thesssalie. On la chercha, mais en vain, l'émeraude de Dantar se faisait des plus discrètes. Lorsqu'on retourna aux Champs Élysées et en Arcadie, les thaumaturges avaient cessé les recherches et l'émeraude était libre. Après avoir goûté au pouvoir grâce à Ygilor, l'émeraude en voulait plus, elle voulait la puissance suprême, et elle ferait en sorte de l'obtenir.

Peu après, l'émeraude commença à s'approprier des maîtres pour conquérir de plus en plus de territoire. Mais avec des maîtres faibles, on ne pouvait pas faire plus qu'une petite guerre sans influence majeure. Maintenant qu'Aldrator était dans la mire de cet artefact au passé hanté, il se ferait contrôler et mènerait un duel intérieur. L'émeraude de Dantar raconta mentalement son histoire à Aldrator, avant de l'appeler. Même si Aldrator ne possédait pas encore l'émeraude, ou plutôt si l'émeraude ne le possédait pas encore, il entendait déjà l'appel maléfique et même s'il connaissait le passé de l'artefact et son influence damnée, il ne pourrait réaliser que celui-ci le contrôlait, justement car il était contrôlé.