[Sankh&Sunkh]Livre I : Anthera, le commencement d'une vi

Elle gisait à même le sol, geignante et abattue…

- Je suis souillée… Je suis pitoyable… furent ses seules pensées.

Les membres d’élite de Pelor arrivés à la rescousse la prirent immédiatement en charge. Quand elle vit leurs expressions ahuries et horrifiées, elle sentit son cœur se déchirer. Elle portait l’engeance d’un diable. Sa destinée en était changée à jamais.
Elle aurait pu endurer tout cela sans trop de difficultés si ce n’était la douleur atroce qui lui déchirait les entrailles. La semence de l’intrus lui brûlait les chairs au fur et à mesure qu’elle progressait, la douleur atteignit une telle intensité qu’Anthera s’évanouit pendant qu’on la transportait aux bâtiments médicaux.

Elle ne se réveilla que deux jours plus tard, la douleur lancinante au bas-ventre ne s’était toujours pas évaporée et l’ange comprit qu’elle devrait l’endurer encore longtemps…


Elle examina la chambre, tout en faisant bien attention de ne pas réveiller son frère Solobem qui s’était assoupi dans un coin de la pièce. Le pauvre avait dû veiller sur elle pendant tout ce temps...
La fenêtre grande ouverte donnait directement sur la place du Saint Klaryss, un ange qui avait marqué son époque par sa bravoure au combat. Son regard s’attarda longuement sur les pins et les rosiers qui décoraient le jardin de l’hospice, le lever du soleil rendait ce spectacle magique.

- Anthera ! Tu es réveillée !

Elle n’eut pas le temps de se retourner que son frère la serrait déjà dans ses bras en sanglotant.

- Pauvre, pauvre sœur.. tu ne méritais pas ça ! Personne ne le méritait.

Elle eut presque besoin de le consoler pour qu’il la relâche. Il lui raconta alors ce qui se passât depuis qu’elle s’était évanouie. On l’avait transportée en toute hâte aux soigneurs… Ceux-ci avaient fomenté une crainte gigantesque parmi les rangs angéliques.

- Tu risques fortement d’être enceinte, lui avoua Solobem tout bas.

Le temps s’arrêta pour Anthera dès lors. Elle, enceinte ? Mais de qui ? Comment ?

Le diable.

Elle l’avait presque oublié… La vue de son frère l’avait ragaillardie malgré la douleur mais cette annonce finissait de la détruire.

- Mais qu’adviendra-t-il de l’enfant ?
- On n'en sait trop rien, il risque d’être métis… En partie angélique, en partie diabolique. Nous verrons bien…
- Mais on ne peut rien faire pour...
- Ne blasphème pas s’il te plaît, tu sais comme moi que nous ne pouvons tuer cet enfant ainsi.

Et elle le savait, les strictes lois de Pelor n’acceptaient aucun écart.


Elle vécut encore trois mois ainsi, dans la crainte et l’attente. Comment savoir ? Elle pouvait autant engendrer d’un ange exemplaire sans aucune lacune que d’un horrible diable affreusement laid. Anthera n’osait imaginer la réaction qu’elle aurait à la vue d’un tel monstre. Son attente lui offrit pourtant une nouvelle imprévue.

- Comment ça des jumeaux ?
- Tu as bien entendu, lui répondit le soigneur en chef, tu es enceinte de deux jumeaux, leurs auras sont trop emmêlées pour qu’on y recueille quelque information mais ils ne seront pas tout blancs, nous sentons une aura diabolique. Cela ne veut peut-être rien dire. Il est possible que les deux enfants naissent avec une partie diabolique insignifiante et cela n’aura pas de dommages graves, ils seront juste un peu plus... humains… Je t’avouerai n’avoir jamais rencontré ce genre de cas en 238 ans de carrière, et mes connaissances dans ce domaine sont très limitées, il ne te reste plus qu’à attendre et à prier.

Ce qu’elle fit. Les six derniers mois de la grossesse furent les pires moments de sa vie, elle passait son temps à prier au temple de Pelor, mais chaque jour la douleur s’intensifiait, comme si les deux enfants se battaient en son sein. Elle était souvent victime de troubles, d’évanouissements et de nausées intenses, mais elle acceptait son sort avec bravoure et endurait tout cela, pour l’amour qu’elle portait à ses fils, et non à des produits d’un viol.


Les derniers jours précédant l’accouchement, elle les passa dans son lit, à moitié inconsciente, ivre de douleur.. Et quand vint enfin le momen tant attendu…

- Que Pelor nous protège ! clama un aide soignant.

Jamais dans tous les Champs-Elysées on avait vu pareils jumeaux.. Leurs auras n’étaient ni maléfiques, ni bénéfiques. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, mais étaient en même temps si différents ! On sentait un fond maléfique chez l’un tandis que l’autre recelait de bien, mais pas comme un ange ou un diable, encore plus étrange...
Les anges alentour les examinaient, ils étaient si beaux, mais le petit à l’aura angélique paraissait si gentil, tandis que l’aura diabolique du deuxième le rendait effrayant. Surtout provenant d’un fils d’ange.

- Sankh… Sunkh… gémit Anthera.
- Comment?
- Sankh...... Sunkh...
- Elle délire!
- Non, répondit Solobem, ce sont leurs noms, Anthera malgré sa douleur a prévu leurs noms, le petit ange s’appellera Sankh, dit-il en désignant le premier, tandis que… l’autre... prendra le nom de Sunkh.

Il avait presque craché le dernier mot.

Pendant encore une semaine, Anthera récupéra des forces tandis que partout dans le royaume, la nouvelle s’étendait telle une traînée de poudre…

Elle essaya bien d’être exemplaire comme mère, ne privilégiant jamais l’un de l’autre, ne les frappant jamais à tort, étant toujours gentille avec eux... Malgré cela leur enfance fut plus que difficile.

L’absence de père était parfois un lourd problème, et même si Sankh avait surmonté les quolibets de ses camarades pour sa faible partie diabolique et s’était intégré, Sunkh s’était toujours fait rejeté. Il n’avait pas cherché leur amitié mais s’était bien vite vu appelé « le Cornu », ou « Fils de Satan ».
Sankh lui, ne prêtait plus attention aux moqueries sur son jumeau, il n’intervenait pas pour l’aider, et mieux : il l’ignorait, exactement comme Sunkh : les deux frères se parlaient rarement.

Maintes fois « l’exclu » en était venu aux mains, maintes fois il s’était retrouvé à terre mais à chaque fois il s’était relevé.

A l’âge de 7 ans, il en était arrivé au point d’haïr tout ceux qu’ils croisaient. Les anges dans la rue le regardaient toujours avec dédain, les jeunes de son âge le provoquaient, et même son oncle qui faisait office de père ne pouvait cacher sa répugnance..

Sunkh haïssait Sankh aussi. Oh oui il le haïssait ! Il n’était pas battu lui, il n’était pas moqué lui, il n’était pas rejeté lui ! Comme il lui en voulait...

La seule personne qu’il réussissait à aimer, c’était bel et bien Anthera…

Anthera qui l’avait toujours regardé comme son fils.
Anthera qui l’avait toujours consolé.
Anthera qui l’avait toujours calmé.
Anthera qui l’avait toujours aimé…

La vie aurait pu continuer son cours normalement sans incidents irréversibles sur leur vie, malheureusement pour eux, Pelor et Asmodée en avaient décidé tout autrement.
En effet les deux dieux censés être diamétralement opposés s’entendaient comme deux frères, et l’histoire de Sankh et de Sunkh leur rappelait un peu la leur, aussi avaient-ils décidé de la remodeler à leur façon.

Un soir, alors que Sunkh avait couru dans toutes les ruelles de la cité pour éviter une cohorte de gamins voulant le lapider, il rentra très tard. A peine eut-il franchi le pas de la porte qu’il entendit Solobem et Anthera discuter dans le salon. Sankh était assis sur les marches à écouter leur conversation, le visage serein.
Sunkh l’ignora et s’approcha de la porte. Solobem était sans nul doute saoul, ce que lui reprocha sa soeur.

- Tu es vraiment irresponsable ! Imagine que la brigade spéciale de Pelor débarque ! Ah tu serais beau derrière les barreaux !
- Qu’ils y viennent !!! hurla-t-il. J’les attends moi !!
- Tais toi sombre crétin, les enfants dorment…
- Les ? Ah tu parles de Sankh et de l’autre bâtard.
- Cet autre bâtard comme tu dis, c’est ton neveu.
- Ne m’insulte pas !! Ce bâtard n’est rien pour moi !! Pour toi non plus d’ailleurs ! Arrête de te voiler la face tu ne l’aimes pas plus que quiconque ici… Pourquoi le gardes-tu ? Tu crois que je ne remarque pas tes pleurs le soir ? Tu crois que je ne vois pas ton regard quand tu l'observes ! Alors pourquoi ?? POURQUOI ??? beugla-t-il.

Anthera baissa la tête, quand elle la releva, elle planta ses yeux emplis de larmes dans ceux de son frère.


- Parce que c’est mon fils. Et même s’il est diabolique, même si cela me répugne, même si cela me fait mal et même si… même si je ne l’aime pas.. C’est mon fils...


Sunkh était figé, il sentait peser dans son dos le regard de son frère. Une colère froide commençait à le submerger peu à peu.

«Elle ne t’aime pas.»

Il se retourna et passa à côté de Sankh. Ce dernier, après l’avoir longuement fixé lui dit simplement :

- Tu n’es pas mon frère.
- Comme si tu étais le mien... lui répondit Sunkh.

Il courut à sa chambre et s’effondra dans un coin. Les yeux mouillés.

«Elle ne t’aime pas.»

« Je… Je pleure ? Moi ? »

«Elle ne t’aime pas.»

« C’est faux ! Elle m’aime ! »

Mais la voix continuait dans sa tête, inlassable.

«Elle ne t’aime pas.»

Il resta ainsi prostré deux heures durant. Lorsqu’il sentit que Sankh s’était couché et que Solobem était trop abruti par le vin pour l'entendre, il descendit rejoindre sa mère, qui comme d’habitude priait avant de se rendormir.

- Sunkh !! Je ne t‘ai pas entendu venir ! Qu’est-ce que tu as mon ange ?

Cette réflexion lui arracha un sourire menteur. Sans un mot il s’approcha d’elle… et l’étreignit. Surprise au départ, elle accepta cette preuve d’amour.

Cette dernière preuve…

- Maman… Pourquoi ?
- Pourquoi quoi mon chéri ?
- Pourqoi !? renchérit-il en la serrant un peu plus fort.
- Mais…
- Pourquoi maman !! gémit-il, pourquoi !!?
- Chéri.. Tu me fais mal !

Il la serrait de toutes ses forces, son aura se transformait peu à peu, une envie de tuer intense émanait de son corps. Une peur bleue envahit Anthera.

- Lâche moi Sunkh ! Lâche moi !
- POURQUOI !!? Pourquoi tu ne m’aimes pas maman !? Pourquoi tu ne voulais pas m'aimer!? hurla-t-il entre deux sanglots. Tu es la seule que j’aimais et même toi tu ne m’aimes pas ! Pourquoi m’as-tu donné la vie !? C’est à cause de toi que j’endure tout ça !! Tout ça c’est à cause de toi!! Sankh tu l'aimes mais moi non ! Oh oui... Tout le monde l'aime le petit ange mais RIEN pour le sale Cornu ! Je ne te demandais rien qu'un petit grain d'amour.... RIEN QU'UN PETIT GRAIN !

L’aura de Sunkh pénétrait peu à peu le corps de la jeune femme, lui arrachant des cris de douleurs, lui brûlant les chairs. Une aura purement diabolique qui ne faisait pas bon ménage avec un corps pur. Le petit lui, continuait à serrer sa mère jusqu’au sang.

Peu à peu il la détruisait de l’intérieur. Elle résista encore deux minutes, essayant de se dégager de l’emprise mortelle, puis elle lâcha un dernier râle d’agonie et son corps devint flasque. Sunkh la serra encore une minute entière ainsi avant de la relâcher.

« Je t’aimais maman... Je t’aimais vraiment.»

Puis sans ajouter un mot il sortit dans la nuit pour ne plus jamais revenir.